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Une vie cachée (Terrence Malick)

Grâce à Terrence Malick, on découvre ce paysan autrichien du nom de Franz Jägerstätter dont on ignorait la canonisation en 2007 par le pape Benoit XVI. Il avait refusé de porter les armes pour le Reich, il fut jugé puis exécuté par le régime nazi en 1943. Jägerstätter est donc aujourd’hui révéré comme saint et martyr. Saint comme un homme d’une vertu irréprochable, conforme à la religion catholique. Martyr comme une personne ayant refusé d’abjurer sa foi. Le film est fidèle à ces deux définitions et exclut toute forme de distanciation ou de critique. Malick filme son scénario au premier degré et met son talent de formaliste au service d’une vie de saint, avec toute le caractère édifiant - certains diront pesant - que cela peut avoir.

Le village autrichien de St Radegund se situe en altitude, entre une vallée verdoyante et une montagne entourée de brumes. Avec ses grands angles, le cinéaste est le paysagiste éblouissant d’un Eden proche de Dieu. Des cascades dégringolent des hauteurs et alimentent des rivières irriguant une terre riche où fruits et légumes poussent en quantité pour les paysans du village. C’est dans ce décor idyllique que vit Franz (August Diehl), sa femme Fani (Valerie Pachner) et leurs trois petites filles. On reconnaît bien le style Malick dans un montage foisonnant d’images de nature et de scènes du quotidien, auquel se mêlent les voix off des époux. La vie est saisie comme souvent chez l’américain dans sa totalité harmonieuse, fusion de l'Humanité et de la Nature. Il célèbre aussi les beautés de l’amour et de la vie familiale comme si elles étaient le résultat d’un projet divin. Quelques dates en surimpression nous renvoient au contexte historique, 1941, après l’Anschluss, où Franz comme d’autres paysans doit faire ses classes de soldat dans la Wechmacht. C’est alors que le film s’assombrit et que Jägerstätter prend conscience du mal qu’il risque de servir en portant les armes. Au risque de s’exclure de la communauté dont il est un membre respecté, il décide de devenir objecteur de conscience et refuse de prêter allégeance à Hitler.

Livre lumineux sur les affres de la sainteté

Les 2H30 qui suivent la décision de Franz illustreront jusqu’au martyr sa détermination à ne pas servir le nazisme. Avec son style illustratif et répétitif, Malick invite le spectateur à tourner les pages d’un livre lumineux sur les affres de la sainteté. Que doit-on subir pour prix de sa vertu ? D’abord les crachats et le rejet de ses semblables. Ensuite on encourt le reproche d’orgueil en se distinguant des autres alors qu’on a une famille à nourrir. Enfin on souffre d’un doute persistant : et si tous ces efforts pour résister étaient vains ? Et si cet au-delà qu’on cherche à atteindre, ce Dieu auquel on veut rester fidèle étaient des illusions ? En butte au rejet violent des villageois, Fani incarne les souffrances du doute alors que la foi de son mari devient inébranlable. Le cinéaste multiplie tout au long du film les vues en contre-plongée comme si ses héros s’adressaient constamment à Dieu pour se fortifier. N’ayons pas peur de le dire : Une vie cachée est une œuvre profondément religieuse, la traduction cinématographique d’un livre de psaumes empli de louanges et de supplications. Cela est souvent épuisant et la patience du spectateur est mise à rude épreuve. Alors que son admirable Moissons du ciel (1978) dure 1H30 mais possède le souffle d’un film de 3H, celui-ci dure 2H50 mais semble en faire le double ! Il y a chez Malick une ambition mystique et poétique hors du commun dans le cinéma contemporain mais qui se transforme en emphase indigeste à force de se répéter.

Ce style uniformément ample et torrentiel m’a semblé de plus problématique confronté au sujet historique du film. Jägerstätter est envoyé en prison à Berlin et subit les brutalités et humiliations des prisonniers du régime. Mais le style reste figé dans son esthétisme et les épreuves de la prison sont souvent filmées en hors champ ou couvertes par les voix off. Bizarrement le martyr est édulcoré et on a du mal à croire que les nazis accordent quelque échappatoire à un type qui refuse de se battre pour eux. Il y a une question de réalisme historique qu’on ne peut pas mettre de côté. Il suffit de lire le remarquable roman de Hans Fallada Seul à Berlin pour comprendre la nature du régime nazi. C’est un régime fonctionnant à la terreur et à la propagande forcenée, qui ne recule devant rien pour broyer ceux qu’il soupçonne de trahison. Mais Malick ne s’intéresse pas réellement à ce Mal particulier, le rejetant dans un grand tout maléfique où on parle allemand alors que les gens de bien parlent anglais ! Déjà dans les Moissons du ciel, il y avait chez lui cette façon apolitique et hors du temps de traiter son sujet : on voyait l’exploitation des pauvres par les riches mais elle n’était pas vraiment questionnée. Dans Une vie cachée, c’est pareil. On célèbre l’héroïsme caché des gens anonymes comme un fait intemporel du Bien contre le Mal, ce qui semble un peu court. C’est le paradoxe du cinéma de Terrence Malick : on est séduit par la beauté et la puissance poétique de son style en même temps qu’on en mesure toutes les limites et un certain simplisme.

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