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Le daim (Quentin Dupieux)

Dans Dillinger est mort de Marco Ferreri, la découverte d’un pistolet emballé dans un journal finit par donner des envies de meurtre au personnage de cadre supérieur joué par Michel Piccoli. Dans Breakup – érotisme et ballons rouges (quel titre !), c’est un industriel joué par Marcello Mastroianni qui obsédé par le gonflement de ballons de baudruche perd la tête et se suicide. Il faut redécouvrir l’œuvre de Ferreri après celle de Buñuel. Derrière la façade de normalité et prospérité se cachent la folie, l’aliénation et la barbarie. Quentin Dupieux qui n’a pas inventé l’absurde au cinéma serait un héritier de ce cinéma-là tant son œuvre travaille l’obsession et les situations absurdes. Il l’a dit en interview à Libération : « En fait, Buñuel est tellement fondamental que je trouverais anormal de ne pas passer par lui. » A la vision du Daim et aux souvenirs de Rubber et de Réalité, on devine aussi une forme de discours et d’auto-analyse sur sa propre condition de créateur dans le cinéma.

Série B tordue, sans gras

Georges (Jean Dujardin) est dans sa voiture et écoute Joe Dassin à la radio. « Et si tu n’existais pas, dis-moi pourquoi j’existerais ». Quelques paroles de chanson suffisent à dire la solitude de ce type qui n’a pas l’air de savoir où il va. La photographie fortement saturée et dominée de teintes beige ajoute à l’ambiance terne, flottante. Contrairement aux personnages de Ferreri qui glissent progressivement de la normalité vers la folie, George semble avoir déjà perdu pied. L’achat d’un blouson en daim et d’une caméra achèvent la transformation en un autre sorti de la normalité (il se dit cinéaste !) et dont la folie va contaminer Denise, une serveuse et apprentie-monteuse interprétée par l’excellente Adèle Haenel.

Avec sa musique angoissante et quelques effets gore, Le daim prend la forme d’une petite série B d’horreur tordue comme l’était déjà Rubber. Il est de plus dépourvu de gras et de longueurs, à l’aise dans ses 1H17. Disons-le : c’est un film absurde et légèrement malsain, pas réellement comique. Quentin Dupieux a dépouillé Jean Dujardin de ses habits rigolos d’OSS et de Belmondo à grandes dents pour ne garder qu’un type obsessionnel qui dialogue avec son blouson et devient agressif s’il n’obtient pas ce qu’il veut. L’acteur est remarquable et bien plus convaincant que dans son personnage de gentil con d’I feel good (Kervern et Delépine), première tentative mal ficelée pour le faire sortir de ses masques habituels. Son couple avec Haenel fonctionne car leur jeu ne déborde jamais vers l’outrance.

Un créateur atypique et marginal

Georges se dit cinéaste et filme tout ce qu’il peut avec sa petite caméra numérique. Peu importe qu’il n’ait pas de scénario ni d’argent. Peu importe qu’il passe pour un mythomane. Son blouson lui confère un style et une nouvelle personnalité, il a la foi, Denise le suit dans sa folie. Est-ce pour Dupieux un autoportrait ? Il dépeint un type sans attache, sans moyens, venu de nulle part. Il a un ego surdimensionné, de la mégalomanie, des idées et il veut être le seul dans son style. Le blouson à franges, les espaces montagneux comme ceux des Rocheuses américaines, ça fait penser aux trappeurs, au western, au Deer hunter de Michael Cimino. Il vient sans doute de là, Dupieux, des images de westerns et de violence sauvage des années 70 et des séries B à la John Carpenter. C’est un créateur atypique, marginal. On voit dans ses films un fort tropisme américain même s’il est souvent désigné comme un héritier de Bertrand Blier. On le comprend film après film, le cinéma qu’il aime a à voir avec la violence primitive, le plaisir gratuit du gore et des constructions surréalistes.

Alors que veut-il nous dire au-delà des indices biographiques et référentiels ? Que tel Georges, nous sommes des individus seuls, vides, aliénés par des objets (le blouson, la caméra) et que ces objets investissent et commandent nos vides ? Que le cinéma détient ce pouvoir magique d’illustrer notre extrême confusion entre la vie réelle, les images que nous consommons et celles que nous souhaitons donner de nous-même ? Georges se situe à l’intersection existentielle entre quotidien moche et normal (on devine que c’est un raté) et volonté d’être un individu unique et remarquable. Il a décidé que les autres serviraient ses desseins de toute-puissance. Comme le récit de cette folie oscille entre les images d’un monde normal, peuplé de gens ordinaires et de références mythiques du cinéma, qu’il est bâti à partir d’un objet ringard en France, le blouson à frange, on a du mal à situer le film entre délire individuel et folie sociétale. Néanmoins, dans son genre insaisissable, ce portrait d’un fou est une réussite.

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