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Everybody knows (Farhadi)

Tout le monde sait (Everybody knows !) que les films d’Asghar Farhadi sont construits de la même façon. On l’avait déjà vu dans sa période iranienne, avec Une séparation ou A propos d’Elly : la structure narrative se répète, la mécanique est toujours la même ! Une grosse heure d’exposition pour décrire une société plus ou moins unie (couple, famille, amis), une rupture qui crée la confusion puis un écheveau complexes de secrets et de non-dits à démêler pour aboutir à la vérité finale.

C’est dans le clocher d’une église espagnole que débute Everybody knows. Des plans sur une mécanique horlogère soulignent ce qui intéresse le réalisateur : ces rouages intimes et sociaux qui, dans des situations de drame exacerbé, poussent les humains à agir. Des rouages aux plans des articles de journaux évoquant un kidnapping d’enfant, découpés par un inconnu, on sait qu’un fait divers servira de mèche dramatique. Que ce soit en Iran, en France ou ailleurs, Farhadi est fasciné par la mécanique des motivations humaines.

Stars transformées en quidams

En atterrissant en Espagne, il affirme l’universalité de son système et sa primauté sur… le star-system. Javier Bardem et Penelope Cruz, stars internationales, se sont prêtés au jeu. Démaquillés, dépouillés de leur aura, pleurant, vulnérables, ils sont transformés en quidams confrontés à un fait-divers sordide. Elle, Laura, revenue d’Argentine avec ses enfants pour assister au mariage de sa sœur dans leur village natal. Lui, Paco, ex-amoureux de Laura et propriétaire d’un vignoble, participant à la fête. En pleines liesses, Laura se rend compte de la disparition de sa fille. Elle reçoit un SMS, Irene a été kidnappée dans la maison familiale. Les ravisseurs demandent une rançon. La rupture est totale : la fête lumineuse est soudain plongée dans l’obscurité et la tristesse.

Famille de connards ?

L’exposition aura été d’autant plus longue qu’il fallait présenter tout le monde : Irène, le vieux père de Laura, le frère et la belle-sœur, la cousine Rocio, Paco et sa compagne Bea, le village, les vignobles, les jeunes du coin etc. L’iranien a travaillé l’authenticité locale, l’atmosphère d’un village où tout se sait, tout le monde se connaît. Mais l’abondance des personnages auxquels se joindra le mari de Laura, Alejandro (Ricardo Darin), rend le rythme bien laborieux. Malgré la longueur, peu de place est faite aux personnages secondaires et aux tensions sociales divisant le village. La famille de Laura n’est sans doute pas n’importe quelle famille mais on ne le voit pas clairement. Un personnage dira assez tard dans le film que « c’est une famille de connards ». Se transformant soudain en thriller, le film aurait dû nous faire voir les enjeux de classe, ce qu’il faisait très bien dans Une séparation mais qu’il réalise tardivement dans Everybody knows.

On comprend aux disputes successives que l’argent génère les tensions mais dans la hiérarchie des secrets, Farhadi a privilégié les secrets intimes, d’où les critiques assez dures assimilant ce film à suspense à une telenovela. En se concentrant sur des secrets de famille assez peu originaux plutôt que sur les antagonismes sociaux qui travaillent en secret le village, le scénario, mené honnêtement, montre hélas une certaine banalité. Il aurait fallu développer la figure du père de Laura, montrer comment l’argent a pourri secrètement les liens familiaux et amicaux. Cela aurait donné au film une dimension plus âpre, moins stéréotypée. On parle tout de même du kidnapping crapuleux d’une adolescente pour quelques centaines de milliers d’euros !

Seul personnage pur

Il reste que Javier Bardem incarne un très beau personnage à qui il sera beaucoup demandé alors qu’il ne fait pas partie de la famille. Il est décrit comme un fils de domestiques qui a bien réussi dans la vigne mais n’a pu épouser Laura, son amour d’adolescence. Bardem fait de Paco un personnage touchant, très vulnérable malgré son charisme initial. C’est le seul personnage pur du film, qui n’a pas de secrets ou d’intentions cachées. On peut aller voir le film rien que pour lui.

Ce film est bien fait mais pâtit de sa banalité dans l’œuvre du cinéaste. L’iranien, excellent directeur d’acteurs mais coincé dans sa mécanique de narration, ne parvient pas à restituer la richesse qu’il y avait dans Une séparation, le sommet de son œuvre. A l’avenir, il devrait sans doute essayer autre chose, prendre des risques, quitte à se planter. L’ensemble est très classique et manque d’audace formelle. En comparaison, le cinéma d’Almodovar, capable de revivifier le mélodrame et le thriller, Sirk et Hitchcock, est tellement plus stimulant.

 

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