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L’événement (Audrey Diwan)

1964 dans une pension à Rouen, Anne (Anamaria Vartolomei) tombe enceinte et ne souhaite pas garder l’enfant. Devenir fille-mère avant son baccalauréat la priverait d’une existence libre, indépendante et mue par l’envie d’écrire. Pour échapper à la fatalité d’une grossesse non maîtrisée, il lui faut avorter, ce qui est interdit par la loi. Le film d’Audrey Diwan raconte ses deux mois de lutte clandestine dans une France conservatrice, rétive à l’idée même que des jeunes femmes puissent choisir d’être mères ou non.

Pour adapter le roman éponyme d’Annie Ernaux, Audrey Diwan a fait des choix formels forts : format dit « carré », caméra à l’épaule, plans serrés en courte focale sur son héroïne. La musique originale d’Evgueni et Sacha Galperine égrène des notes glacées qui accentuent la tension tandis que l’avancée de la grossesse, comptée en semaine, accentue la pression. Ces choix nous font sentir l’étroitesse de la société et l’étouffement qu’en ressent la jeune femme. Il n’y aura aucun plan large et la caméra ne quittera pratiquement jamais Anne et son corps souffrant. Je n’ai pas lu le roman d’Ernaux, assez court (130 pages en poche) mais j’imagine le film assez fidèle au roman, restant dans une tonalité dure, crue et sans échappatoire. Dans cette volonté d’aller au bout d’une logique, de faire sentir un corps luttant contre la pression sociale, Diwan produit un cinéma assez similaire à celui des frères Dardenne. J’ai encore en tête le corps mouvant et le visage blanc aux grands yeux bleus d’Emilie Dequenne dans Rosetta, si proche de celui de Vartolomei, très convaincante. Le corps et l’esprit de la jeune femme sont constamment en alerte. La joie d’être jeune, d’apprendre, de sortir, d’aimer et de baiser a déserté son regard. Son existence est focalisée sur le fait de se sauver. Le film nous dit que le corps d’une femme soumis aux volontés des médecins et aux contingences de la maternité peut être ressenti comme une prison. L’événement va assez loin dans la description crue des affres corporels. Ceux qui ne le savent pas apprendront ce qu’était un avortement clandestin. Pour un œil novice il y a un aspect pédagogique assez insoutenable mais revendiqué par la réalisation. On notera en outre que des femmes avorteuses (« faiseuses d’anges » disait-on) se substituaient à des hommes médecins, prenant des risques (prison) pour aider d’autres femmes, ce que peu d’hommes osaient faire.

Sans doute pour des questions de budget, la reconstitution d’époque est légère mais elle paraît suffisante en ce qu’elle parvient à traduire l’esprit et le langage de l’époque. Il suffit d’une première séquence entre filles sur le choix d’un soutien-gorge puis d’une soirée dans un bar où résonne du rock’n’roll. Le film capte bien le côté guindé des rapports, le respect forcé des adultes et l’étrange mélange de puritanisme et de désir sexuel qui baignait les jeunes gens de l’époque. On a oublié aujourd’hui la pression hypocrite du groupe qui fait qu’une jeune femme un peu trop libre pouvait être surveillée et cataloguée « mauvaise fille » par ses propres copines. L’époque n’était pas drôle et on comprend pourquoi Mai 68 adviendra.

Le film est fort et irrespirable mais en tenant sa ligne systématique tout du long il m’a laissé une petite note de déception. Anne affirme au professeur Bornec (Pio Marmaï) qui lui parle d’enseignement qu’elle souhaite se consacrer à l’écriture. Si elle renonce de toutes ses forces à la maternité, c’est bien parce qu’elle a une vocation à accomplir, qu’elle souhaite autre chose pour elle. Le scénario ne nous fait jamais ressentir cet autre chose auquel une jeune femme de 1964 pouvait aspirer. Quels étaient les mots qui la faisaient vibrer et lui donnaient envie d’être écrivain ? Il y a la littérature et sûrement tout un monde de bonheur et de liberté à saisir qu’on ne voit pas du tout. La tonalité du film reste la même, sans contraste et on s’étonne soudain de voir une simple scène de repas dans laquelle Anne rit avec ses parents. Ils écoutent tous les trois la radio et ils rient mais on ne sait pas de quoi. Tout à son projet « coup de poing », Diwan a sans doute perdu l’occasion de nous montrer cette vie pour laquelle Anne se bat mais ce qu’elle nous montre à l’écran possède une originalité et une acuité politique rare.

Commentaires

  • Hello, top critique

  • Merci Thomas

  • Merci pour cette critique éclairante sur le film.

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