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Madres paralelas (Pedro Almodovar)

Où Pedro Almodovar veut-il nous emmener ? Il faut attendre une bonne demi-heure de son Madres paralelas pour commencer à le comprendre. Avant cela, il lance plusieurs fils narratifs sans qu’on saisisse comment ils vont être liés. Janis (Penelope Cruz) rencontre Arturo (Israel Elejalde) lors d’un shooting photo. Arturo aide Janis à monter un dossier pour l’exhumation d’une fosse commune datant de la Guerre Civile. Il y aurait dedans la dépouille de l’arrière-grand-père de Janis. Janis et Arturo couchent ensemble. Un enfant va naître. A la maternité Janis se lie d’amitié avec Ana (Milena Smit) qui va accoucher également. Vivant loin de son père, Ana habite chez sa mère Teresa (Aitana Sánchez-Gijón) qui souhaite lancer sa carrière et réussir dans le théâtre.

Les éléments du récit sont épars. Le scénario apparaît un brin filandreux. Le principe des droites parallèles est qu’elles ne se croisent jamais. Or chez le cinéaste, les lignes se brisent et les histoires finissent par se croiser et se confondre. Almodovar aime utiliser les ruptures scénaristiques brutales quitte à apparaître artificiel. Il aime aussi les hasards et les coïncidences, faire se croiser ses personnages comme s’ils habitaient à cinquante mètres les uns les autres. Il faut spoiler un peu : en présentant sa fille à Arturo, le doute s’installe, ce bébé est-il vraiment celui de Janis? Ana reparaît et la tension s’exacerbe car Janis doit se dépêtrer du secret qu’elle porte. Rien de tel que les secrets et les filiations brisées pour faire un bon mélodrame. Les télénovelas, genre qu’Almodovar sait détourner, sont remplies de drames impossibles, de hasards vertigineux, d’enfants qui retrouvent leurs vrais parents et de morts qui ressuscitent.

C’est la beauté de son cinéma : travailler ses propres artifices pour nous y faire croire. On n’avait pu lui reprocher ses décors trop pop et beaux pour être vrais, ses couleurs volontiers flamboyantes, Madres paralelas est plutôt sobre dans le domaine. C’est la musique faite de cordes d’Alberto Iglesias, collaborateur régulier du réalisateur, qui donne des élans pleins d’émotions aux images. Ce qui distingue le cinéma d’Almodovar du tout venant des séries larmoyantes, outre sa maîtrise formelle, c’est la signification symbolique et politique qu’il parvient à transmettre. Film de femmes mettant à distance les hommes sans les dénigrer mais soucieux de les inscrire dans l’histoire de l’Espagne. La paternité est mise de côté comme si l’Espagne d’aujourd’hui était d’abord portée par les femmes, dans ses dimensions politiques (Janis), d’accomplissement individuel (Teresa) ou de dénonciation des crimes sexuels (Ana). Arturo n’est pas invité par Janis à assumer son rôle de père. Quant aux hommes d’Ana, le père de sa fille ou son propre père, ils sont problématiques. On pourrait dire qu’à part Arturo, les seuls hommes de valeur sont ceux qui ont été fusillés par les phalangistes au temps de la Guerre civile, ceux qui ont manqué au pays alors qu’il était dominé par le fascisme. Un morceau de dialogue inattendu rompt la mécanique du mélodrame quand Janis parle des espagnols qui doivent se demander de quel côté étaient leurs familles sous Franco. Le passé doit toujours être exhumé, c’est une nécessité politique.

Par effet de retour au début du film, la fin nouera un lien fort entre ses héroïnes et l’histoire du pays. Pour Almodovar, les femmes sont les gardiennes de la mémoire et de toutes les filiations. Elles sont capables de produire et d’assumer des familles recomposées, nouvelles et d’aimer par-delà les liens du sang. Elles sont aussi une force politique travaillant à la mémoire des leurs, contre l’oubli. Elles enfantent et elles exhument des êtres, très beau rapprochement symbolique travaillé par le cinéaste. Décidément, les années passent, les films restent (Julieta, Douleur et gloire dernièrement) et Almodovar continue à nous toucher.

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