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Effacer l’historique (Kervern et Delépine)

Il suffit de regarder sur YouTube les sketchs de Groland ou bien de se souvenir des films précédents du duo Kervern-Delépine pour percevoir leurs défauts persistants. Les idées ne manquent pas, souvent drôles mais leur travail a toujours un côté branlant et mal abouti. I feel good par exemple, partait d’une très bonne idée : propulser un crétin ultra-libéral (Jean Dujardin) dans un village Emmaüs. Mais le résultat peu probant, se soldait par un récit enfilant sans énergie des séquences inégales. C’était vraiment raté.

Avec Effacer l’historique, les défauts persistent mais sont atténués par l’écriture d’une trame un peu consistante. Trois personnages se débattent avec leurs vies médiocres. Marie (Blanche Gardin) est une mère au foyer laissée en plan par son compagnon et son fils, menacée d’une sextape par un étudiant en école de commerce (Vincent Lacoste). Christine (Corinne Masiero) est une chauffeuse VTC cherchant désespérément de bonnes notations sur Internet. Bertrand (Denis Podalydès) est un veuf accablé de dettes qui élève sa fille adolescente, victime de cyber-harcèlement. Ils vivent dans le même lotissement et se sont connus sur un rond-point, au moment de la contestation des gilets jaunes. Ils sont frustrés mais en restant solidaires cherchent des moyens de survie et de bonheur.

A travers ces trois portraits, les réalisateurs dessinent les contours d’une vie moderne dénuée de sens, aussi laide que la photographie pâle du film. Même s’il y a des dialogues et des trouvailles drôles, la première heure est particulièrement accablante. Davantage mis en avant que Masiero, Gardin et Podalydès exploitent bien le registre dépressif et mélancolique. Ils sont englués dans une existence incompréhensible et le scénario énumère tout ce que la société marchande hyper-connectée charrie d’horreurs : surconsommation absurde, addictions numériques, déshumanisation, multiplication délirante des codes et conditions online, cyber-harcèlement et pornographie. C’est exhaustif et ça rend parfois le récit pesant et longuet. On retrouve le défaut principal du duo, sans doute voulu car il traduit leur style : leur difficulté à faire vivre un récit solide et rythmé. Certaines séquences sont assez bien vues (avec Poelvoorde en livreur), d’autres plus brouillonnes (celles avec Vincent Dedienne ou Philippe Rebbot).

Le défaut de resserrement de l’intrigue est aussi dû à l’exploitation insuffisante du personnage de Christine. Le rôle de Masiero est fonctionnel – elle conduit ses amis en VTC – mais on ne comprend pas très bien certains aspects de sa vie, les séquences la concernant passent trop vite (pourquoi une salle de prière musulmane dans sa maison ?). Le récit de son passé, raconté dans une scène en voiture, n’est en outre pas très convaincant. On se dit que l’histoire aurait pu se centrer sur deux personnages, qu’elle aurait été plus percutante avec 20 minutes de moins.

Il y a donc une forme de trop-plein et des idées mal abouties mais paradoxalement, cet aspect foutraque mis en scène de façon souvent poétique, fait mouche. On est surpris par la délicatesse de certaines images, comme ce premier plan quitté par Gardin, où volètent les aigrettes de pollen. Le film débute et se termine sur l’herbe comme si la nature restait la dernière chose à apporter de la beauté. Sur la planète que nous contemplons à la fin du film, la vie a perdu son sens ou en tout cas il n’y a plus de maîtres à bord. Si Dieu est aux abonnés absents, les politiciens et les capitalistes eux-mêmes sont invisibles. Tout semble mélangé, interpénétré et au final assez étrange. Le monde est dans un état de chaos transitoire. On voit dans les images du film des éoliennes, des potagers bios révélant notre conscience écologique mais aussi les smartphones, les datacenters, les plateformes téléphoniques, les fermes à clics indiennes. Comment un être humain normal pourrait-il y comprendre quelque chose ?

La dernière partie du film tente un sursaut, une forme d’action contestataire qui solidifie quelques peu son récit. Puisque les vies sont confisquées par le numérique (Gardin qui crie : « my pussy is in the cloud » !!!), pourquoi ne pas aller voir les GAFA et leur reprendre ? On ne décrira pas le résultat mais plutôt l’état d’esprit qui émerge de cette action de la dernière chance : il y a moyen malgré tout de se débrouiller, de bricoler des choses dans son coin. L’optimisme renaît de la mélancolie et pour une fois, le cinéma de Kervern et Delépine, tout brouillon qu’il est, mérite des compliments sincères.

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