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Petit pays (Eric Barbier)

Petit pays est un livre avant d’être un film. Il a reçu le Goncourt des lycéens, il a séduit des milliers de lecteurs. Pour Gaël Faye, son auteur, le petit pays en question est à la fois le Burundi où il a passé une partie de son enfance et cette enfance elle-même, territoire de souvenirs, enchantés mais aussi dramatiques. Il est né là-bas d’un père français et d’une mère rwandaise. Le scénario co-écrit avec le réalisateur Eric Barbier évoque donc une enfance métisse privilégiée puis l’irruption d’une Histoire tragique. Peuplé comme le Rwanda, le Burundi a connu des rivalités sanglantes entre Hutus et Tutsis mais n’a pas sombré dans le génocide de masse comme son voisin.

Vivre dans une famille « expatriée » en Afrique dans les années 80-90, dans un pays en paix, c’est connaître une insouciance et un confort économique que beaucoup d’enfants ont vécu que ce soit à Dakar, Abidjan, Ouagadougou ou Bujumbura (capitale du Burundi). Le petit Gabriel (Djibril Vancoppenolle) vit dans une villa cossue avec sa sœur Ana (Dayla de Medina). Leur père Michel (Jean-Paul Rouve) est un entrepreneur blanc gagnant bien sa vie. Gabriel va à l’école « française ». Il a une bonne bande de copains avec lesquels il fait des bêtises. La vie est pour lui un terrain de jeu bien délimité entre école réelle et école buissonnière à la verdeur tropicale.

Eric Barbier retranscrit bien cette vie privilégiée parce qu’il ne l’idéalise pas. Les enfants écoutent et observent, ce qu’ils perçoivent parfois de loin, par une porte entrouverte, par la fenêtre, n’est pas très reluisant. Leur regard innocent atténue mais n’occulte rien. La bonhommie désinvolte et le naturel de Jean-Paul Rouve, excellent, édulcorent à peine le racisme et l’arrogance dont font preuve expatriés et coopérants. On balance des ordres, on tance les employés africains sans ménagement. D’une certaine manière, on se fiche pas mal de leur vie. Le film démontre une justesse d’observation en faisant deviner l’envers de la vie d’expatrié. On se souviendra de cette séquence du vélo qu’on ne racontera pas, décrivant sans en avoir l’air l’injustice de condition entre blancs et noirs.

Leurs parents vivent une séparation tendue. Les allers-retours de leur mère Yvonne (Isabelle Kabano), rythment la vie des enfants. Alors que le père est celui qui gâte et console, la description psychologique de la mère, fille de réfugiés tutsis, apporte quelque chose de plus sombre. Le scénario alterne les moments de bonheur enfantin et des scènes plus graves. Des élections ont lieu, elles ont l’air de bien se passer mais on sent que des troubles se préparent. Par le détail de conversations, par les échos de la radio, par de brefs marquages temporels, le réalisateur prépare le spectateur à la tragédie. A l’échelle enfantine de Gabriel, les tensions politiques secouant le petit Burundi sont une miniaturisation des événements qui vont ensanglanter le Rwanda. En étant métisse de père blanc, Gabriel bénéficie d’un statut enviable mais en étant en même temps rattaché par sa mère au Rwanda, il porte en lui une autre histoire, plus sombre et violente, personnifiée par son oncle à l’ironique prénom de Pacifique.

Petit Pays prend une dimension bouleversante au cours d’une visite à Kigali, dans la famille d’Yvonne. Une photo de mariage s’assombrit soudain. C’est un procédé simple qui en raconte davantage que de longues séquences. On le sait, le génocide rwandais de 1994 a annihilé des milliers de familles sans laisser un seul survivant. C’est la puissance du récit de Gabriel / Gaël Faye: en racontant son enfance dans un pays jumeau du Rwanda, il évoque avec pudeur une des dernières tragédies du 20ème siècle.

Le film aura du mal à se relever de ce moment fort intervenant avant son dernier tiers. Tout ce qui était hors champ déflagre sur la vie familiale et dévaste la vie d’Yvonne. Le récit et la mise en scène perdent en subtilité quand elle revient à Bujumbura. Barbier filme les conséquences de la tragédie dans plusieurs séquences frontales moins réussies. Gabriel ne veut plus fermer les yeux sur ce qu’il voit, c’est le signe d’une enfance qui s’étiole. Mais il aurait fallu user d’un peu d’ellipses pour ne pas briser l’harmonie du film. Le réalisateur ne parvient pas à montrer de manière convaincante cette mère qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. A ces réserves près, on recommande Petit Pays, film émouvant et très bien interprété.

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