John Huston
Le lac aux oies sauvages (Diao Yinan)
Le lac aux oies sauvages est un des nombreux lacs qui bordent la ville chinoise de Wuhan, dans la région centrale du Hubei. C’est un lieu décrit dans le film de Diao Yinan comme une zone de non-droit, où un délinquant en fuite peut se cacher. Au cours d’une rixe avec une bande rivale, Zhou Zenong (Hu Ge), chef d’un gang de voleur de motos a le malheur de tuer un flic. Il passera tout le film à se cacher et à fuir alors qu’une récompense de 300 000 yuans est promise par les autorités. Alors qu’il souhaite que sa femme touche la récompense pour sa capture, c’est Liu Aiai (Gwei Lun Mei), une prostituée qui vient à sa rencontre.
L’intrigue paraît simple a posteriori : un homme qui se sait perdu veut gagner un semblant de rédemption en permettant à sa femme de toucher l’argent de sa récompense. Comme si c’était une convention du genre (souvenez-vous du Grand sommeil de Hawks ou de La dame de Shanghaï de Welles), Diao Yinan complexifie la structure de son polar en éclatant son récit en deux flashbacks, l’un raconté par Zhou Zenong, l’autre par Liu Aiai. Alors que les policiers envahissent les rues et se confondent avec les délinquants, on comprend progressivement que la vie du fuyard importe moins que la récompense pour sa capture. D’ailleurs Zhou Zenong a-t-il réellement la possibilité de s’échapper ? Il sait bien que ses chances de survie augmentent dans les endroits les plus peuplés. Mais dans les bas-fonds de Wuhan, tout le monde semble se connaître et s’observer et on ne sait pas vraiment qui travaille pour la police et qui va trahir. Diao Yinan joue de cette indétermination générale tout comme il joue du caractère labyrinthique et grouillant des lieux pour dilater son récit.
Tout se passe en moins de 24H mais le rythme du film alterne pauses et accélérations brusques comme dans un jeu. Le lac aux oies sauvages est un mélange de Monopoly et de jeu de l’oie. Qu’on soit délinquant ou flic, on se partage le territoire pour gagner quelque chose. Quelqu’un va remporter la mise au bout du parcours, il suffit d’attendre la fin du film. Les règles du partage de l’activité entre voleurs et flics semblaient claires. Les gangs se partagent le butin la nuit, la police maintient l’ordre public le jour mais Zhou Zenong, en enfreignant les règles malgré lui, est devenu proie et récompense du jeu. Le lac aux oies sauvages métaphorise une Chine en proie à la rapacité, pays en pleine confusion morale. On retrouve dans le personnage principal la figure connue du héros de film noir, broyée par des forces sociales qui le dépassent.
Le côté embrouillé du récit couplé à l’indétermination psychologique des personnages fait qu’on a du mal à entrer pleinement dans le film dans sa première heure. Quelques séquences très artistement conçues (la fusillade dans le zoo) agacent par leur côté poseur. Mais la sophistication de la mise en scène happe le spectateur. Les longs travellings, les plans larges et le jeu des ombres nocturnes décrivent une ville terrifiante dont on ne peut s’échapper, territoire confus où se mêlent délinquance et contrôle d’Etat. Diao Yinan décrit son pays comme un cauchemar urbain. Dans le Wuhan des ruelles étroites et des ateliers, on se sent loin des lofts et des paysages modernes de Shanghai. Le pays profond est animé d’une activité souterraine inquiétante, l’argent et le business sont rois. On se réunit dans des salles d’hôtel ou dans des ateliers pour négocier des choses mais on ne comprend pas vraiment quoi.
Y at-il une échappatoire morale sur un tel territoire ? Le réalisateur donne sa réponse en fin de film. Le lac aux oies sauvages est une relecture puissante du film noir à l’aune de la réalité chinoise. On a hâte désormais de découvrir Black coal, son polar récompensé de 2014.