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Les misérables (Ladj Ly)

Si on cite autant La Haine de Mathieu Kassovitz (1995), oubliant souvent Ma 6-T va cracker de Jean-François Richet (1996), c’est que les films marquants traitant de la situation en banlieue ne sont pas si nombreux. Oublions les films de genre pas toujours réussis comme Banlieue 13 ou Les Kaïra et il ne reste pas grand-chose dans le genre dramatique. Cela fait donc plus de 20 ans que la banlieue française n’a pas eu le droit à un film fort, Les misérables est pour cette raison un événement. On parle essentiellement de la banlieue sous l’angle sécuritaire, en utilisant la banale formule « zone de non-droit », le film adopte en partie cet angle en suivant une patrouille de la BAC (Brigade Anti-Criminalité), constituée de Chris (Alexis Manenti), Gwada (Djebril Didier Zonga) et du nouveau Stéphane (Damien Bonnard) dans une cité de Montfermeil.

BFM TV ?

On pourra se montrer sceptique, parler comme certains d’un reportage « BFM TV » parce qu’il traite de sécurité mais ce serait occulter des aspects beaucoup plus riches de ce film. Parler de film-choc, c’est oublier que pendant la première heure, en suivant la patrouille de police, il n’est question que de micro-événements : la présentation du nouveau à la commissaire (Jeanne Balibar), un contrôle à un arrêt de bus, quelques prises de tête musclées avec les habitants. En filmant les gens chez eux, les enfants, leurs parents, quelques personnages de la cité, des discussions, en survolant les tours d’immeuble et en nous montrant des cages d’escalier vétustes, un environnement sale dans lequel ils vivent mais qui n’empêche pas la vie quotidienne et la solidarité, le réalisateur nous dit : « c’est ça la banlieue ». Cela peut sembler platement réaliste, surtout quand c’est filmé caméra à l’épaule, avec un montage nerveux mais on comprend bien que le cinéaste ne souhaite pas enjoliver les choses. Le film est beaucoup moins esthétique que La Haine par exemple et son lumineux noir et blanc. Il n’y a pas de rap qui résonne, pas de climax esthétique.

Personnages normaux et forts

Dans sa recherche de véracité, le cinéaste a privilégié des acteurs « normaux », qui ont la tête de l’emploi. Alexis Manenti dans son t-shirt moulant de sport de combat, a tout du flic un peu beauf qui veut absolument se faire respecter. Damien Bonnard, pas beau, un peu pataud mais attaché à la légalité, fait un bon contrepoint à ses collègues aux méthodes de cow-boy. Gwada est surnommé comme cela parce qu’on le prend pour un antillais mais on verra que ce n’est pas le cas. La difficulté à le situer « ethniquement » montre comme un hiatus entre son appartenance à la ville – c’est un habitant de Montfermeil – et son métier de flic qui le place en position d’étranger. Face aux policiers, la cité n’est pas un ensemble homogène. Des personnages forts symbolisent les rapports de force à l’intérieur de celle-ci. Le langage est cru, la violence est toujours latente. Il s’agit ici de montrer ses muscles, de se faire respecter, qu’on soit caïd et pseudo-grand frère comme Le maire (Steve Tientcheu) ou repenti tombé dans le salafisme comme Salah (Almany Kanoute). Si le film ne tombe pas dans les travers d’un reportage pour chaîne d’info, c’est aussi parce qu’on finit parfois par rigoler de ces concours de quéquettes entre flics, islamistes ou voyous du coin. Quand les gitans s’en mêlent, la cocotte est à son plus haut degré de pression.

La marmite qui déborde

Les misérables ne fonctionne pas selon le principe du choc répété mais plutôt de la marmite qui déborde. Trop de tensions, de haines accumulées, d’humiliations subies font que se sont créées les conditions d’une explosion de violence. Y a-t-il une thèse univoque dans ce film ? Ce n’est pas si évident. En privilégiant la véracité et la normalité des personnages, le scénario permet à chaque partie de faire comprendre sa logique. En tant que spectateur, je peux aussi bien prendre le parti de Chris en me disant qu’il n’a pas le choix, que s’il se montre injuste et méchant, c’est pour garder le contrôle de la situation. Je peux aussi me ranger derrière Stéphane et sa volonté un peu vaine de rester dans les règles. Je peux prendre le parti des adolescents comme Issa (Issa Perica) et ressentir l’humiliation et la brutalité qu’ils ressentent à chaque contrôle de police. Les logiques ne s’annulent pas les unes les autres, elles s’additionnent pour parvenir à l’explosion finale qui est un pur moment de catharsis qui dépasse largement le seul problème policier.

Ladj Ly s’approprie Victor Hugo pour démontrer qu’à force de ne traiter la banlieue et ses enfants que par la répression, on fabrique de la colère pour longtemps. Hugo aimait utiliser des personnages allégoriques, le visage d’Issa est à lui seul une allégorie d’une certaine jeunesse. Aussi incontrôlables soient-ils, Issa et tous les enfants du film ne méritent pas les humiliations que leur font subir la BAC (contrôles, fouilles, insultes, coups) ou certains adultes. L’omniprésence du trafic de drogue, la mainmise de caïds devenus grands frères, la saleté et l’abandon de ces ensembles créent les conditions d’une fureur juvénile suicidaire. Les émeutes de 2005 n’ont servi à rien à part à tout casser, nous rappelle le cinéaste mais il nous prévient : cela peut tout à fait se reproduire.  

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