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Proxima (Alice Winocour)

La française Sarah Loreau (Eva Green) s’apprête à décoller pour une mission internationale d’un an sur Mars. Le protocole de préparation qui l’amène en Russie la sépare progressivement de sa fille Stella (Zélie Boulant-Lemesle) qu’elle élève seule depuis sa séparation d’avec Thoma (Lars Eidinger). La trame est très simple, décrivant une séparation nécessaire mais douloureuse pour Sarah, subie pour Stella.

Au début du film, le montage alterne des scènes intimes entre Sarah et Stella et des scènes d’entraînement de l’astronaute. Le quotidien, fait de dialogues, d’une visite au père, d’un dîner au restaurant, moments décrits de manière très minimaliste, se fond petit à petit dans l’évocation de la mission Proxima. On craint un instant que le potentiel épique du thème spatial se dissolve dans le récit assez spartiate de la séparation entre les deux femmes. Mais Alice Winocour, dont c’est le premier film que je vois, a travaillé minutieusement l’atmosphère. La mélancolie de Sarah s’insinue dans toutes les strates de ce film qui se densifie à mesure qu’il progresse. On se sent dans Proxima comme dans un début d’automne. Les couleurs tristes de la forêt russe ainsi que la musique en nappes languissantes de Ryūichi Sakamoto préparent le spectateur à la séparation qui vient. Sarah, incarnée de manière bouleversante par Eva Green, ressent physiquement la douleur du départ. Son corps affiné par l’entraînement se creuse et son visage pâlit alors que la pression de la mission se fait ressentir. Comment être prêt physiquement et moralement quand on va se séparer de ceux qu’on aime ? Comment être prêt à se séparer de l’univers qui vous baigne depuis la naissance ?

En se focalisant sur l’infiniment petit du drame personnel (une femme se sépare de sa fille et de sa vie sur Terre), en nous préparant aussi à ce qui attend les astronautes dans l’espace, Proxima donne un autre visage à la conquête spatiale. En voulant repousser les limites de la présence humaine (aujourd’hui Mars, demain Vénus), les astronautes connaissent un déchirement rarement décrit au cinéma. Séjourner à Star city, la cité internationale des astronautes puis à Baïkonour, c’est vivre dans des lieux protégés, silencieux, entourés de forêts ou de steppes, qui vous font ressentir la solitude de votre départ. C’est comme si l’atmosphère automnale faisait ressentir un hiver qui approche. Là-haut, le métabolisme sera transformé, les cellules vieillies et l’expérience sensible sera bouleversée (le silence, l’apesanteur, l’absence de vent et d’odeurs). Aller dans l’espace n’est pas, comme peut le faire voir le cinéma américain, une histoire épique supplémentaire taillée pour des hommes forts mais un véritable arrachement qui requiert beaucoup de force mentale.

Les femmes dans la mythologie spatiale

Pour Sarah, qui n’est pas la première femme à partir, s’ajoute la pression d’un univers viril et volontiers paternaliste, incarné avec sobriété par le personnage de Mike (Matt Dillon). Cela n’est pas dit mais on sent dans de nombreuses scènes qu’elle doit prouver sa légitimité à aller dans l’espace. Elle n’est pas là pour faire du « tourisme spatial » et un homme se tient prêt à la remplacer en cas de défaillance. Ne serait-ce pas plus simple pour elle et pour Stella qu’elle reste sur Terre et s’occupe, comme une bonne mère, de son enfant ? Se poser cette question qu’elle se pose sans doute elle-même, c’est comprendre la charge pesant sur une femme, qu’elle soit astronaute ou autre. Le scénario de Proxima renverse les perspectives habituelles sur le rôle de chacun. Non seulement Sarah va assumer son projet mais elle va aussi endosser un rôle d’habitude assumé par un homme, celui de transmettre son rêve d’aventure à sa fille. Gravity (Alfonso Cuaron) démontrait au personnage de Sandra Bullock que sa meilleure place de femme astronaute était sur la terre ferme. Ad Astra (James Gray) tentait pour un homme déboussolé l’impossible quête du père dans l’espace. Alors que le cinéma américain se sert de l’espace pour interroger et glorifier en même temps le rôle de l’homme, Proxima replace les femmes dans la mythologie de la conquête spatiale.

Tout en portant un propos féministe sincère, le mérite du scénario d’Alice Winocour est de ne jamais asséner ou démontrer quoi que ce soit. On ne sait pas si Stella, pas très forte en maths malgré des parents scientifiques, pourra faire comme sa mère. Les images du film, notamment ce plan dans lequel Stella contemple la Terre vue de l’espace, nous disent que rien n’est impossible. L’univers et son infini sont bien ouverts à tout le monde, y compris les femmes et les petites filles. Sauf que les sacrifices et les épreuves endurées sont beaucoup plus grands pour elles: quitter la pesanteur terrestre pour l’apesanteur spatiale, c’est métaphoriquement quitter la pesanteur de la condition féminine.

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