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Les frères Sisters (Jacques Audiard)

« Je n’ai pas un amour profond du western… ». Je retiens à desseins cet extrait d’interview de Jacques Audiard sur France 24 à propos de son dernier film parce que là, franchement, ça se voit ! Quand on apprend en plus que c’est une commande, initiée par John C. Reilly qui l’a demandé personnellement au réalisateur de Dheepan, on n’est plus très étonné du résultat pour le moins mitigé. La presse française est aux anges, limite délirante comme si Audiard avait réalisé Impitoyable (western qui a relancé Eastwood). Il faut dire que c’est la super tête de gondole de notre cinéma national, capable d’associer l’intimisme qui nous est cher avec le romanesque du cinéma de genre. Un prophète en a été l’exemple le plus réussi alors que De rouille et d’os, souvent grotesque, en est la caricature.

C’est histoire de deux frères tueurs Eli et Charlie (John C. Reilly et Joaquin Phoenix) qui se lancent à la poursuite de Warm, chercheur d’or (Riz Ahmed) et de Morris (Jake Gyllenhaal), détective mandaté par le même commanditaire, le « Commodore ». Au moins le français est-il honnête en interview : il a surtout été intéressé par le développement psychologique de ses personnages, par leurs liens familiaux. Il a délaissé le prétexte romanesque de la poursuite : Warm détient une formule chimique permettant de détecter l’or dans une rivière. Le parcours des frères violents est donc une suite de dialogues et de moments intimes, soudain zébrés par des éclairs de violence. Le réalisateur cite Little Big Man (Penn) comme influence et on aurait aimé que son film partage la même truculence, le même humour picaresque. La presse aura beau citer les épisodes anecdotiques de l’araignée ou de la découverte de la brosse à dents, Sister Brothers ne vaut pas cinq minutes du film d’Arthur Penn !

Dépourvu de rythme

Audiard a le droit de tordre le modèle du western à sa guise. Il a juste oublié certaines exigences du genre. Le rythme par exemple. Son film en est totalement dépourvu. Qu’il soit classique comme chez Ford ou plus truculent, comme par exemple Bad Company de Robert Benton (avec Jeff Bridges jeune), c’est un genre épique, qui galope et nous transporte. Or, Sisters Brothers,  flottant dans une photographie terne rebutante, est lesté de dialogues beaucoup trop longs tournés la plupart du temps en nocturne. Il n’y aucun moment fort ni puissance dramatique dans ce film. Dans un genre qui aime les espaces, Audiard ne s’est intéressé qu’aux petites choses du quotidien, à des bouts de conversation qui font sans doute sens (notamment sur le sang de leur père alcoolique, qui les a contaminés) mais qui ne produisent pas un tout captivant. Soulignons que John C. Reilly, omniprésent, est tout à fait convaincant dans un registre nécessitant du sens comique, et que Joaquin Phoenix joue un rôle qu’il maîtrise très bien : celui du brother cinglé, jamais loin de péter les plombs. Ce qu’on entrevoit de tordu et de comique dans les interprétations donne surtout envie de lire le roman de Patrick deWitt, qu’Audiard a adapté avec son habituel scénariste Thomas Bidegain.

Je veux bien admettre qu’il y a un geste audacieux de la part d’Audiard, celui de convertir un genre très « genré », très masculin, très violent, en une création insolite, qui finit par « castrer » ses héros et les faire revenir chez Maman mais pour aboutir à cela, quel ennui !

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