Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La douleur (Emmanuel Finkiel)

La douleur de Marguerite Duras, c’est quelque chose ! Ce livre lu il y a une dizaine d’années est d’une puissance peu commune. C’est un journal, dit-elle. Le récit se déroule à Paris dans les années 1944-1945. La fin du régime de Vichy, la Libération, le retour des prisonniers et déportés. La gestapo a arrêté son mari Robert Antelme en juin 1944. Marguerite fait des démarches à la préfecture pour avoir de ses nouvelles. Rabier, un flic collabo, lui en donne en échange d’on ne sait quoi. Antelme est déporté vers l’Allemagne. Marguerite, qui a une liaison avec Dionys Mascolo, cherche désespérément où. Elle l’attend, jusqu’à la Libération de Paris et son retour des camps. Elle l'aide à reprendre vie, à guérir (ce n'est pas dans le film).

Elle décrit ce qui passe en elle, la tristesse, la honte, la culpabilité, en même temps que Paris se libère et que l’attente se prolonge. La douleur est un témoignage intime et historique. L’écriture de Duras porte cette douleur tout en maintenant le lecteur dans l’ambiguïté. L’esprit de Marguerite était certes confus mais toute l’époque l’était ! Je me souviens de mon expérience de lecteur surpris par la perméabilité constante entre bien et mal, entre salauds et amis. Après tout, Robert Antelme a été donné par un membre de son réseau de résistance: derrière un visage amical pouvait se cacher un traître…

 

Suffocant

Il faut lire ce journal publié par P.O.L. en 1985. Faut-il voir l’adaptation qu’en a tirée Emmanuel Finkiel ? Je le pense même si l’expérience littéraire me paraît beaucoup plus forte et durable que celle procurée par le film.  Et pourtant, le film est fidèle à l’œuvre. Il reproduit en voix off la voix de Duras, sa façon de ressasser, de scander. Il saisit la narratrice, incarnée par Mélanie Thierry, dans le flou de l’époque. Filmée en plans serrés, par de longues focales, elle est une solitude parmi des êtres flous. Sa vie se déroule dans des intérieurs, dans la pénombre. Les autres, Rabier (Benoît Magimel), Dionys (Benjamin Biolay), Morland (Grégoire Leprince-Ringuet) ou Mme Katz (Shulamit Adar), qui attend sa fille déportée, sont des personnages obscurs, dont on connaît quelques bribes biographiques. Robert (Emmanuel Bourdieu) est une forme fondue dans l’arrière-plan, une silhouette. Les rares plans larges montrent des paysages parisiens déserts, comme cette place de la Concorde qu’elle traverse seule. Focalisé sur une femme seule et tourmentée, le film est suffocant. Quand Marguerite longe la vitrine d’un bistro dans lequel on danse et fête la libération, elle est filmée accablée, prisonnière du cadre. Elle traverse les événements confuse et hébétée.

Zone grise

L’étouffement ressenti est difficile à tenir pendant deux heures. Les procédés de filmage ont tendance à s’épuiser. Finkiel n’a pas tenté un film aussi radical que Resnais dans Hiroshima mon amour, dont le scénario avait été écrit par Marguerite Duras. La structure résolument éclatée du film de 1959 concordait avec le renouvellement des formes littéraires du Nouveau roman. Le film de Finkiel est plus littéraire que cinématographique, par sa fidélité au roman. Il reste que le texte de La douleur est si intense et Mélanie Thierry si habitée par son rôle que le film mérite d’être vu. On parle actuellement de « zone grise » concernant la séduction, cette zone entre consentement et contrainte qui se joue dans une relation. Le récit de Duras produit une énorme zone grise de sentiments. L’ambiguïté de Marguerite, nourrie de son inadaptation aux événements, prête à toutes les hypothèses. On parle d’une femme qui attend un homme qu’elle n’aime plus. Et si, malgré la douleur de l’attente, elle éprouvait une attirance pour Rabier le collabo, au moins une forme de compréhension ? Et si cette attente de la nouvelle était l’attente d’une « mauvaise » nouvelle, la libérant de la souffrance d’attendre ?

Il faut regarder Mélanie Thierry, scruter son visage, écouter sa voix et explorer les sentiments contradictoires qui l’accablent. Il faut d’une certaine manière combattre certains des aspects répétitifs de ce film pour en apprécier la saveur. Et puis, il faut lire Duras !

Les commentaires sont fermés.