John Huston
Three billboards, les panneaux de la vengeance (McDonagh)
Trois panneaux publicitaires pourrissent au bord d’une route perdue dans le fin fond du Missouri. Cela fait plus de vingt ans qu’ils n’ont pas été utilisés. Mildred Hayes (Frances McDormand), habitant tout près, décide de leur redonner une utilité. Sa fille a été violée et tuée quelques mois auparavant mais le coupable n’a pas été identifié et la police n’a aucune piste sérieuse. Sur ces panneaux, elle va dénoncer l’inaction des flics et provoquer des remous dans cette petite communauté de l’Amérique profonde. Plutôt que d’ouvrir la boîte de Pandore, elle fait revivre les trois panneaux publicitaires d’Ebbing, Missouri.
Chacun a ses raisons
Plus qu’une bonne idée de scénario, c’est une symbolique très forte qu’utilise Martin McDonagh qui a écrit l’histoire. Au pays de la publicité et du marketing, le panneau célèbre un monde idéal, harmonieux, centré sur la consommation. Mais l’American way of life s’est décrépit depuis son âge d’or. Au pays merveilleux de Donald Trump, c’est maintenant un moyen de dénoncer son prochain et de foutre un bordel sans nom ! Les drapeaux américains sont omniprésents mais on n’a rarement vu un pays aussi violent et divisé. L’initiative de Mildred Hayes semble relancer l’enquête mais le film esquive volontiers le thriller pour se placer dans la comédie satirique. On pense à un mélange des frères Coen et de Renoir. Les Coen pour cette capacité à inventer des crétins réussis, comme Dixon, flic nullard habilement joué par Sam Rockwell. Le Renoir de La règle du jeu qui met en lumière les bassesses d’une société sans en condamner les membres : « Le plus terrible dans ce monde c'est que chacun a ses raisons » dit le personnage d’Octave dans le film de 1939.
Œil pour œil, dent pour dent
Et c’est un peu ça aussi dans le film de McDonagh : chacun a ses raisons d’agir comme il le fait. Personne, à part peut-être le chef Willoughby (Woody Harrelson), n’est au-dessus des autres. L’une des qualités de Three billboards est son absence de manichéisme. Le scénario refuse d’adopter le schéma simpliste consistant à dresser la sainte Mildred, la mère courage contre sa communauté. Mildred n'est pas sympathique. Elle est le produit hargneux d’une société de petites gens qui n’ont que la violence pour se protéger. Elle se fait respecter à coups de pompes dans les couilles ou de répliques cinglantes. Œil pour œil, dent pour dent. Elle que son mari dérouillait, elle rend la monnaie de sa pièce. Elle se fout bien de ménager le chef Willoughby, honnête flic qui a de graves soucis de santé. Elle n’est pas placée plus haut que Dixon, le prototype du con qui tape d’abord et réfléchit après.
L’histoire américaine et la violence
La violence est le produit d’un système politique et social dégradé. Les dialogues et les situations, très incisifs, évoquent sans retenue le racisme et l’impunité de la police, la violence grégaire, l’homophobie et le besoin de boucs émissaires. La mise en scène de McDonagh rappelle les liens que l’histoire américaine entretient avec la violence. Ces tabassages qu’on atténue par de la musique classique. Ces panneaux qui flambent dans la campagne comme les croix enflammées par le KKK. Ces cocktails molotovs contre un commissariat qui font ressurgir les images d’émeute urbaine entre policiers et jeunes afro-américains. Tirant sur tout ce qui bouge, dénonçant les tares tout en multipliant dialogues et situations rocambolesques, le film est-il sans doute trop malin. Avec ses ficelles satiriques qui fonctionnent efficacement, il fait penser à American beauty de Sam Mendes qui lui, s’attaquait méchamment aux classes moyennes des banlieues pavillonnaires.
Three billboards cahote pendant 1H55 comme une voiture déglinguée sans qu’on sache où il veut nous emmener. Trouver l’assassin de la fille de Mildred ou essayer de recoller les morceaux d’une société qui se délite ? Quelques pistes policières sont ouvertes mais l’enjeu n’est pas là. A Ebbing se joue un conflit larvé entre petits blancs, qui peut être stoppé si chacun se remet en cause. On peut le regretter in fine mais on reste dans le cinéma américain, imprégné de morale chrétienne : tout le monde a le droit à son petit morceau de rédemption, à sa seconde chance. Dans ses dernières séquences associant Mildred à Dixon, Three billboards se met à rêver d’une société un peu intelligente, qui renoncerait à la loi du talion. Malin encore une fois, McDonagh ne cèdera pas à la facilité d’un happy end trop évident. Ce film a tout pour cartonner.