John Huston
Silence (Scorsese): pesant et aride
Après la débauche flamboyante du Loup de Wall Street, Silence de Martin Scorsese est un film frustrant pour qui aime le réalisateur. C’est le plus austère et inhibé de sa filmographie, sur un sujet, la foi, qui n’est pas des plus faciles à mettre en image.
Au 17ème siècle, les chrétiens sont persécutés par les autorités japonaises. On supplicie des fidèles et leurs prêtres missionnaires pour qu’ils abjurent leur foi. Le père Ferreira (Liam Neeson), soumis à cette inquisition, ne donne plus de nouvelles au point d’être suspecté d’avoir renoncé. Les pères Garupe (Adam Driver) et Rodrigues (Andrew Garfield), anciens élèves de Ferreira, décident de partir au Japon, poursuivre le travail de mission et retrouver leur maître. Arrivés sur l’archipel, en pleine persécution, ils endurent à leur tour la traque des autorités et les épreuves pour ne pas renoncer à leur foi.
Questions philosophico-religieuses
La photographie est terne et brumeuse. Les cieux sont lourds. La terre est boueuse. Les villageois sont misérables. Les prêtres épaulent des gens qui ont une foi simple en Dieu, espérant échanger leur vie contre le paradis. Garupe et Rodrigues se partagent entre le soutien aux croyants, les tentatives pour échapper aux autorités et les prières où l’image du Christ donne de l’espoir. La première moitié du film n’offre que peu d’échappatoires au spectateur. La gêne devant une œuvre sèche, pesante, ployant sous son sujet est renforcée par le fait que les japonais se plient à la langue anglaise de manière ridicule, pour le confort du spectateur américain. Les séquences sont dénuées de tension dramatique. On sait que les deux missionnaires vont tomber dans les mains des autorités et seront testés. En même temps, l’écriture des personnages des deux jésuites nous tient à distance. Ils sont en milieu hostile, plongés dans une culture qu’ils ignorent, attachés uniquement à préserver le christianisme au Japon. Scorsese ne crée pas de véritable empathie pour eux. Ce sont des jésuites d’abord, missionnaires résolus de leur foi. Il consacre son film à des questions philosophico-religieuses intéressantes: comment peut-on continuer à croire alors que la violence se déchaîne contre soi ? Comment Dieu, silencieux, peut-il accepter qu’on souffre pour lui ? Pourquoi risque-t-on sa vie pour des concepts immatériels ? Mais il illustre ces questionnements par des séquences étirées de dialogue et de supplices. Le film est bavard, austère, harassant même. J’aurais aimé comprendre dans cette première partie pourquoi les japonais ont décidé de persécuter les chrétiens, en quoi cette foi bousculait la société nipponne. Hélas, la vision du Japon ne passe que par le père Rodrigues et sa voix off, un procédé qui paraît lourd et vieillot. J’aurais aimé Silence plus mystérieux et mystique, moins édifiant et sentencieux. Plus silencieux.
Retournement intéressant
Quand Rodrigues est capturé par le Grand « inquisiteur », Ingoue-Sama, le film passe à une seconde étape plus surprenante et accessible. Rodrigues est captif mais les japonais ont décidé, plutôt que la torture du prêtre la discussion et le chantage. Un dialogue minimal se crée entre deux religions antagonistes : un sacré enraciné, le bouddhisme shinto, contre un sacré à vocation universelle, le christianisme. Pourquoi venir imposer sa religion à un pays qui n’en veut pas ? Pourquoi insister si ce n’est pas désir de colonisation ? Le retournement est intéressant. Le scénario donne des raisons à chaque partie, évacuant tout manichéisme. L’inquisiteur japonais ne chasse pas les mécréants de sa propre religion mais le christianisme, une religion à tendance expansionniste. Le missionnaire persécuté est aussi un colonisateur qui assène sa vérité sans tenir compte de la société qu’il évangélise. Certes les japonais font preuve de cruauté mais ils ont une approche pragmatique : ils demandent d’abjurer publiquement, peu importe qu’on croit au fond de soi, comme si le christianisme était une perturbation de l’ordre social. En même temps, quand survient le père Ferreira, le film est instructif pour étayer les différences spirituelles entre Occident et Japon. Le christianisme ne peut s’implanter au Japon car il est étranger à la culture japonaise, imprégnée de panthéisme. En disant cela, je ne donne pas d’arguments sur la valeur cinématographique de Silence, je ne fais que relever sa nature instructive.
Ici, Scorsese, sérieux comme un Pape, s’est fait plus corseté et plus jésuite que les jésuites eux-mêmes. Son sujet va jusqu’à plomber les acteurs eux-mêmes. Andrew Garfield n’arrive pas à sortir d’un registre éploré et doloriste. Son personnage se veut une incarnation du croyant au sens chrétien, être qui jusqu’à la mort gardera en lui la figure de Jésus. Pourtant on n’arrive pas à communier avec le grand Marty. Il n’y a pas comme dans beaucoup de ses films une énergie morbide qui ronge les personnages de l’intérieur. Il manque quelque chose. Seule idée intéressante et étrange de ce film de 2H41 tout de même : le personnage de Kichijiro (Yôsuke Kubozuka), sorte de judas perpétuel qui inspire la compassion, incarnation de la faiblesse humaine, qui revient telle une marionnette et qu’il aurait fallu développer. Comme on se sent loin de la Dernière tentation du Christ, œuvre plus modeste mais autrement plus audacieuse, où il mettait en scène un christ profane, viscéralement attaché à sa mère, obsédé par Marie-Madeleine ! Le sérieux de son dernier projet a complètement inhibé Scorsese. Il n’exploite pas assez les décalages entre la foi chrétienne et l’interprétation des croyants japonais. Le dialogue est pourtant savoureux quand les villageois décrivent le paradis comme un lieu où il n’y a pas de taxes. Rare moment léger surnageant dans un récit pesant et aride.