Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

American honey (Andrea Arnold)

Star (Sasha Lane), 18 ans, rencontre Jake (Shia Labeouf) et quitte sa famille sur un coup de tête. Elle rejoint ainsi un groupe de jeunes vendeurs de magazines parcourant le Midwest (Kansas, Oklahoma, Nebraska). Sous les yeux d’une cheftaine jalouse, Krystal (Ryley Keough), elle apprend à vendre quelque chose d’inutile à des gens qui n’en a pas besoin. C’est un moyen comme un autre de survivre pour des gosses pauvres mais l’ambiance est bonne. Dans le van, on boit, on fume et on déconne. Sur la route, on écoute aussi de la musique, beaucoup et de la bonne. Le film tire son nom d’un titre du groupe de country Lady Antebellum. La chanson a eu du succès aux USA en 2010, suffisamment pour être reprise lors d’une séquence du film emprunte de nostalgie. L’américaine « pure sucre » tel que c’est traduit représente une figure d’innocence à laquelle on se réfère, stable et libre à la fois. Dans ce road trip mettant en scène de jeunes gens pauvres, la musique est primordiale et sonne toujours juste. Que ce soit ce hip hop sudiste (« trap ») qui célèbre le fric et la débrouille ou ce tube de Rihanna qui semble écrit pour Star et Jake (We found love in a hopeless place), les chansons sont en phase avec les valeurs d’une jeunesse nomade et marginalisée, qui prend le plaisir là où elle le peut.

Docu white trash et romance

La britannique Andrea Arnold allie registre documentaire et romance, le tout porté par une ambition esthétique très affirmée. C’est le versant docu white trash qui est le plus réussi, quand la réalisatrice observe les inégalités, les foyers dysfonctionnels où les enfants se débrouillent sans parents, évoque les travailleurs (routiers, mineurs) et toute une population délaissée qui vit dans les motels, les trailer parks et les terrains vagues. Elle capte aussi cette parole de jeunes qui n’ont pas honte de se dire pauvres et qui voient les riches s’approprier le confort matériel et l’honorabilité. Elle n’hésite pas à faire dire à ses personnages ce qu’ils pensent des « valeurs » de l’Amérique prospère. L’idylle entre Star et Jake est moins intéressante car plus conventionnelle. Il est dommage que la possibilité d’un ménage à trois ravageur avec le personnage de Krystal n’ait pas été davantage exploitée. Le scénario y revient régulièrement mais l’amourette pâtit d’un rythme beaucoup trop décousu. American Honey dure 2H43 mais ce n’est pas justifié. Trop de scènes sont étirées et certaines séquences sont répétitives comme si la réalisatrice n’avait rien voulu retrancher. Comme beaucoup de films actuels (Moonlight de Barry Jenkins par exemple), American Honey exhibe ses effets esthétiques et les surligne abondamment. Caméra à l’épaule, image gorgée de lumière, plans d’animaux, d’insectes, cela est souvent très joli mais se regarde trop filmer. Les longueurs et la complaisance dans l’esthétisme sont de vrais défauts, dommageables car l’œil de la réalisatrice est souvent pertinent. On a parlé de la bande son, irréprochable. Quand Arnold filme amoureusement la belle Star, on comprend ce qu’elle capte. Avec ses tatouages, son teint de métisse, ses dreadlocks dressés sur sa tête comme des plumes d’indien, Star fait figure d’indigène dans son propre pays. Son prénom comme celui d’autres personnages (Krystal, Pagan) renvoient à quelque chose d’ancien, de primitif. On retrouve un peu de ce néo-paganisme vu dans le hippie Captain Fantastic, en 2016. Avec son héroïne, la réalisatrice décrit une jeunesse nomade qui redécouvre la nature, la liberté et une forme de solidarité. Bien que tous se motivent à faire du fric, on ne les voit jamais rivaliser. Ils ont intériorisé la valeur suprême de leur pays, la richesse, mais ils ont une distance enfantine par rapport à l’argent. Enfants d’une société à la fois traditionaliste et matérialiste, ils ont le rêve de fonder un foyer, d’avoir « quarante acres et une mule » comme dit Jake. Les pérégrinations de la troupe évoquent Steinbeck et Ford des Raisins de la colère. Star et ses amis sont des oakies modernes sauf qu’on ne voit pas la fin du voyage, la pauvreté étant partout. Dansant au-dessus d’un feu, ils sont condamnés à être de nouveaux peaux rouges, malgré eux.

Andrea Arnold filme sa troupe avec amour : malgré son arrière-plan sinistre, le film n’est jamais déplaisant. Sous le formalisme appuyé, il a plus de fond qu’il n’y paraît. Trop long, trop dilué, American Honey n’en reste pas moins un bon film qu’un producteur avisé aurait dû couper d’une grosse demi-heure.

Les commentaires sont fermés.