Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Toni Erdmann (Maren Ade): chercher le bonheur

Enseignant la musique aux enfants, Winfried Conradi (Peter Simonischek) est un doux farceur et un original. Lorsque son chien Willi meurt, il décide de visiter sa fille Ines (Sandra Huller) avec qui les relations sont distantes. Ines est une consultante ambitieuse, travaillant d’arrache-pied pour une firme pétrolière en Roumanie. Le père est dépeint comme un être espiègle, féru de déguisements et de farces et attrapes. Le ressort dramatique du film de Maren Ade tient à l’opposition existentielle entre lui, amoureux de la vie, et sa fille, sacrifiant délibérément son bonheur à sa réussite. Le ressort comique qui y est entremêlé tient à l’interférence volontaire et burlesque de Winfried dans la vie d’Ines. Il y incarne un personnage factice, Toni Erdmann, soit disant coach / consultant, qui par ses interventions accidentelles, révèle l’absurdité de la vie d’Ines et de ses congénères. Absurdité des comportements d’une "élite" capitaliste, nourrie d’intérêts prédateurs.

Hybride de comédie et de drame

On rit ici, les pieds dans un environnement sinistre. La réalisatrice allemande a produit un drôle de film, hybride déconcertant de comédie et de drame. Le contraste entre les deux registres est frappant : imaginez Ressources humaines de Laurent Cantet secoué de situations cocasses. De par sa forme, ce film est naturaliste et social. Nous sommes dans les décors standardisés de la mondialisation : appartement d’expatrié, bureaux, hôtels, salles de conférence, boîte de nuit. Les personnages sont principalement des expatriés (consultants, cadres,…) et des éléments roumains complices ou partie prenante du système (l’assistante d’Ines, les cadres locaux, les ouvriers). Le reste de la population est à peine aperçu, à travers des vitres. Le paysage désolé est celui d’un pays en friche. La photo pâlie accentue la tristesse des décors. Cette réalité est d’autant plus sombre que le film multiplie les observations sur les cruautés engendrées par l’ultralibéralisme. Ines se fait déstabiliser et humilier à de multiples occasions par son client américain. Elle renvoie cette humiliation sur les roumains à son service (la scène du salon de massage). La tragicomédie familiale se double d’un regard acerbe et politique sur le « modèle » allemand. Ines, en supposée bonne « merkelienne », justifie son travail de destruction sociale au nom du réalisme économique et traite son père de « rêveur écolo ». Le modèle allemand est dépeint comme un modèle néocolonial agissant de concert avec les américains en Europe de l’Est. Face au rouleau compresseur capitaliste, on peut voir les farces du père comme un travail de sape salutaire et minime. Tout en ridiculisant gentiment les comportements des expatriés, il encourage les roumains à « garder le sens de l’humour ». Il en appelle simplement à la vie contre la mort. Dans Toni Erdmann, chercher le bonheur, s’amuser et aimer la vie est aussi un acte politique.

Rire de la mort

On voit Winfried au début du film grimé d’une tête de mort. Il s’affuble d’un dentier et d’une perruque lui donnant un air réjoui et monstrueux. Il donne souvent l’impression de rire de la mort et des forces maléfiques qui entourent sa fille. Affublé d’un déguisement bulgare censé éloigner les esprits, il se transforme en épouvantail protégeant Ines. Il ressemble un peu à ces personnages (l’épouvantail, l’homme en fer blanc, le lion couard) qui accompagnent Dorothy dans le Magicien d’Oz pour qu’elle retrouve sa maison. Sauf que Dorothy-Ines est partie définitivement pour faire carrière, n’a aucune envie de revenir et Winfried n’a que le pouvoir de lui faire aimer un peu la vie. Le film est pour cela attachant car il n’est jamais manichéen. Winfried est lucide sur sa capacité à faire changer sa fille et jamais Ines ne le contraint au silence. Elle l’aime et sait qu’il n’a pas tort.

Pendant le générique de fin résonne Plainsong de Cure, qui ouvre l’album Disintegration. Lugubre et grandiloquente, la chanson se referme sur le film. Ines va s’expatrier ailleurs, la parenthèse comique est achevée. Le spectateur qui a quand même bien ri espère qu’elle retiendra durablement quelque chose des leçons de son père. En tout cas, il a tout fait pour.

Toni Erdmann est un film lucide et drôle baignant dans une profonde tristesse, ce qui donnerait une définition assez juste du concept déroutant de « comédie allemande ».

 

Les commentaires sont fermés.