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Nocturama (Bonello): théorique et virtuose

Tout faire péter, qui n’en a pas rêvé ? Asséner un bon gros coup de pied aux institutions, aux entreprises et aux adultes, choses insupportables quand on est jeune, c’est le rêve de beaucoup. Qu’on soit « jeune de banlieue » ou étudiant à Sciences po, qu’on étudie ou qu’on soit en galère, le fantasme d’une grande explosion de violence est présent dans la jeunesse. On ne peut pas enlever cela au film de Bonello, ses personnages de terroristes parisiens sont mus par une envie vraisemblable et le réalisateur a su donner du souffle à leur mouvement. L’organisation et la convergence vers le centre de Paris sont brillamment mises en scène dans la première heure du film. Minutage, trajets en métro, zoom sur carte RATP, montage synchronisé des actions, flash-backs concis sur la formation du groupe impriment au film une belle tension. Le spectateur attend les « événements » avec appréhension. D’un point de vue formel, Nocturama est assez virtuose pour nous faire avaler quelques situations irréalistes - placer une bombe ni vu ni connu au Ministère de l’intérieur, sérieusement ? A quelques flottements près dans sa deuxième moitié il tient en haleine le spectateur jusqu’au bout.

Sans cause claire ni substance intellectuelle

Cependant, Nocturama n’est pas sans laisser perplexe et entretiendra à dessein beaucoup d’incompréhension. Bien qu’incarnés par de bons acteurs comme Vincent Rottiers ou Finnegan Oldfield, les jeunes sont très platement caractérisés et provoquent peu d’empathie. Bonello a beau se placer dans un sillage compréhensif, ils me sont apparus comme de tristes personnages, sans cause claire ni substance intellectuelle. A les observer, le spectateur peut balancer entre admiration pour leur précision, mépris pour leur manque de fond et indulgence forcée pour leur naïveté. Bonello décrit bien leur confusion. Ils sont de leur époque, happés par des trucs futiles (clips, réseaux sociaux) et fascinés par le luxe. Ils peuvent prendre en pitié un clochard mais tuer de sang froid de simples vigiles. Le réalisateur refuse d’en faire des héros logiques, révolutionnaires ou exaltés, et cela crée un certain trouble, il faut l’avouer. Nos terroristes se situent très loin des militants maoïstes de la Chinoise de Godard, ivres de logorrhée révolutionnaire. Il y a un décalage énorme entre l’efficacité de leur action et leur absence de suite dans les idées, leur côté « naïfs romantiques » qui nuit au réalisme et à la crédibilité de l’action. Toute cette préparation minutieuse, tout ça pour rentrer chez soi le lendemain, comme si on avait fait une grosse bêtise, cela frôle l’incohérence et le réalisateur a décidé justement d’endosser l’incohérence constitutive de ces jeunes. Si on voulait exonérer Bonello de toute légitimation du terrorisme, on dirait qu’il prend le parti de ses personnages, non pas en tant que terroristes, mais en tant que jeunes. Mais épouser leur point de vue revenant à justifier aussi leurs actions, il faut donc questionner les notions de terrorisme et de violence.

Il fallait que ça pète

Sur le modèle de la dissertation d’histoire à Sciences Po, décrite par le personnage d’André, le film se déploie comme une réflexion poussée jusqu’à ses limites sur le statut de l’action terroriste dans la société de consommation occidentale. Société produisant un déchirement insupportable entre révolte et fascination à son encontre. Par la voix d’André, Bonello nous dit bien que sa réflexion peut aller jusqu’à justifier l’injustifiable et il l’assume clairement dans deux séquences, celle de la fille au vélo, celle de la fusillade finale. La jeune fille au vélo, Adèle Haenel, donne sans hésitation une légitimité à la violence (« il fallait que ça pète de toute façon »). La séquence finale, quant à elle, reproduit la thèse maintes fois entendue du terrorisme comme diversion/création d’Etat, quand chaque terroriste, devenu victime, est abattu sans sommation par le GIGN. Qu’on soutienne ou pas les choix du réalisateur et le point de vue de ses personnages, Nocturama multiplie les questions malaisées. Comment un jeune d’aujourd’hui peut-il exprimer sa violence contre un monde qui le dégoûte et le fascine en même temps? Comment peut-il y vivre? Est-ce que cette violence est légitime ? Est-elle-même efficace alors que tout acte « terroriste », reproduit sur les réseaux sociaux, les chaînes d’info ou au cinéma devient un élément consommable de la société du spectacle ? Ces jeunes ne sont-ils pas des idiots nécessaires à l’Etat qui les décrit, via un pseudo-BFM TV, comme ses « ennemis», pour masquer ses échecs ?

Les questions que posent Bonello sont passionnantes et la maîtrise de sa réalisation aide à faire passer le caractère très théorique ainsi que les défauts flagrants du film : l’inconsistance de ses personnages, le caractère peu crédible de certaines séquences.

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