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Babylon (Damien Chazelle)

1926. Hollywood était encore une périphérie couverte de vergers. Grâce aux terrains bon marché et au climat agréable, les studios de cinéma avaient commencé à s’installer dès les années 10. Babylon débute dans ce décor désert, quand Manny (Diego Calva) doit convoyer un éléphant vers une villa où se tient une fête géante. L’éléphant chie abondamment et quelques minutes plus tard c’est une actrice éméchée qui pisse sur son amant. Damien Chazelle nous décrit un cinéma hollywoodien entre stade anal et jouissance juvénile. La musique pulse et les gens baisent furieusement dans une ambiance monstrueuse. La caméra ne cesse de chavirer entre les corps qui se chevauchent. 5 ans avant, le comique Roscoe « Fatty » Arbuckle était accusé de viol sur une jeune femme et la presse se déchaînait contre la décadence du milieu du cinéma. Il y a dans ce début de film un hommage à cet Hollywood gonflé de libido d’avant le code Hays, ce code moral imposé au cinéma à partir des années 30. Chazelle tente de produire une atmosphère à la Fellini, alternance sans fin de jouissances et de gueules de bois. La photographie de son film n’a pas le grain ensoleillé mais plutôt des teintes poussiéreuses qui lui donne un air malsain. Avec ses défécations et sécrétions multiples, Babylon est une vision bestiale d’Hollywood qui avale et régurgite.

La fête est le point de convergence des trois protagonistes, qui ne cesseront de se croiser pendant les 3h09 du film. Manny l’immigré mexicain est l’homme à tout faire qui rêve de se faire une place dans le milieu. Jack Conrad (Brad Pitt) est un acteur dont le destin ressemble à celui de John Gilbert, grande star de la MGM au temps du muet. Nellie LaRoy (Margot Robbie) est l’archétype de la fille pauvre et prête à tout pour devenir une vedette. Après la séquence échevelée de la fête vient celle du tournage. Le cinéaste filme ça comme un terrain de jeu géant, un cirque vertigineux où les figurants peuvent se faire embrocher dans des scènes de bataille. Tout y est frénétique. Conrad picole en gardant son flegme (encore un rôle tout en coolitude pour Brad Pitt), LaRoy joue comme si elle avait fait ça toute sa vie, les tournages frôlent la catastrophe mais la magie opère. Même s’il y aura des séquences plus apaisées, Chazelle ne cesse d’enchaîner les péripéties filmées comme de longs orgasmes laissant place à la descente. On ressent bien l’excitation qu’il veut communiquer et on ne s’ennuie pas malgré 3h de film. Mais on voit aussi la répétition des procédés : la musique qui lance la séquence, le gros plan sur la batterie, le découpage frénétique. Dans un élan enthousiaste mais peu subtile, il représente les débuts d’Hollywood, grossière machine à rêves qui veut devenir respectable. On se demande si ce n’est pas avec la bestialité du système l’autre sujet du film : comment le cinéma est passé de divertissement vulgaire à un véritable art.

En cette fin des années folles, alors qu’il va bientôt devenir parlant (référence au Chanteur de jazz avec Al Jolson – 1927), chacun se cherche une respectabilité mais peine à la trouver. La gloire gagnée dans le muet peut se transformer en déchéance. Les tournages ne sont plus des récréations déchaînées mais des épreuves techniques qui nécessitent de la maîtrise (celle du son, de l’espace du studio etc.). Alors qu’il pouvait devenir plus mélancolique et que son rythme décélère un peu, le film ne renonce pas aux séquences gratuites, grotesques ou scatologiques (celle du serpent, la réception mondaine…). C’est là qu’on se dit que Chazelle, qui a écrit intégralement le scénario, a mal dosé ses effets et s’est laissé dévorer par sa vision d’un Hollywood babylonien qui pervertit et détruit ses propres enfants. Cinéaste pessimiste, qui ne semble pas beaucoup croire en l’être humain, Il préfère se vautrer dans des visions décadentes assez faciles. Dans la seconde partie de film, il y avait matière à mieux exploiter les failles de ses personnages. Brad Pitt bénéficie de la plus belle (et plus calme) scène du film, celle de la confrontation avec la chroniqueuse Ruth Adler. Il a de toute façon le meilleur rôle. Même si elle la joue bien, Margot Robbie doit quant à elle porter un rôle assez ingrat : arriviste, inculte, droguée, père crétin, mère à l’asile, personnage pour lequel le réalisateur éprouve peu d’empathie. Manny est aussi une occasion manquée. A force de travail, il arrive à s’imposer comme producteur-réalisateur mais son amour pour l’actrice lui fait rater sa carrière. Cet immigré mexicain avait pourtant le profile pour devenir un produit d’Hollywood, mélange de plasticité, de travail et de savoir-faire. Il est dommage que Chazelle les ait trop sacrifiés au profit de séquences qui sentent l’esbroufe et la décadence, comme cette longue virée avec un Tobey Maguire aux dents jaunes, amusante mais gratuite. En jetant à la poubelle les pionniers du cinéma muet, il a métaphorisé la mort d’un certain cinéma mais a oublié que beaucoup de grands noms ont réussi à passer du muet au parlant (Chaplin, John Ford, Cecil B. DeMille…).

Quentin Tarantino a filmé lui aussi une période de transition, quand Hollywood est passé des studios tout puissants à la concurrence de la télévision. En regardant Babylon, j’ai beaucoup pensé à Il était une fois Hollywood, qui me paraît supérieur. Le grotesque est là aussi mais Tarantino le fétichiste a un sens du détail et du temps plus aiguisé. Il dose mieux et aime davantage ses personnages. En puriste des bandes-son, il insuffle plus d’élégance à ses films que les big bands et les trompettes de Chazelle. Babylon souffre surtout d’un dernier quart d’heure raté. On ne la racontera pas en détails mais son hommage à l’histoire du cinéma est maladroit et superflu. Babylon est en fin de compte généreux et pétaradant mais souffre de ne pas avoir eu un producteur pour le simplifier et le rendre moins caricatural. Porté aux nues ou haï par la critique, c’est un film à voir en 2023.

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