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Venez voir (Jonas Trueba)

Chronique tardive d’une œuvre singulière et quelque peu frustrante. Venez voir dure à peine 1H05 et se termine de manière aussi brusque qu’inattendue. Le réalisateur du très beau Eva en août a réalisé un film minimaliste certes mais qui décante semaine après semaine. On a accolé l’étiquette de film « rohmérien » à cette histoire de deux couples d’intellectuels séparés par le covid. Il y a un peu de Rohmer dans cette association de contraires qui conversent et philosophent : Elena et Daniel (Itsatso Arana / Vito Sanz) sont restés en ville tandis que Susana et Guillermo (Irene Escolar / Francesco Carril) ont profité de la crise pour s’éloigner de Madrid et vivre à la campagne. Comme l’éloignement géographique et le covid ont séparé les amis de longue date, Venez voir est une forme de cri du cœur pour se retrouver.

Le film commence par un concert de jazz dans une petite salle et Jonas Trueba s’attarde sur les visages concentrés. Cela faisait presque un an que les deux couples ne s’étaient pas vus et cette musique instrumentale rend ce moment à la fois ému et cérébral. Il en sera souvent des séquences muettes de Venez voir comme lorsque Daniel et Elena prennent le train : le cinéaste instaure des moments sans paroles qui sont des moments de réflexion aussi bien pour les personnages que pour les spectateurs. Il ne s’agit pas juste d’amis qui se retrouvent mais de personnes qui ont été séparées par une crise, celle du covid qui a questionné leur existence, leur mode de vie, leurs aspirations. C’est pour cela que Venez voir résonne longtemps après avoir été vu : il nous parle de nous et l’injonction de son titre est une invitation à réfléchir au sens de nos existences. Elena est en pleine lecture d’un essai du philosophe allemand Peter Sloterdijk qui s’intitule Tu dois changer ta vie (titre tiré d’un poème de Rilke). Le livre existe, Elena reconnaît qu’il est dense et difficile à comprendre mais le titre est limpide, on s’étonne qu’il n’ait été repris par le film tant il est universel.

Les séquences sont aussi simples qu’un déjeuner ou que la banalité de souvenirs partagés entre vieux amis. Trueba ne cherche pas à nous dire que notre vie de citadin devrait se tourner vers la campagne, le bio, la nature, le partage ou la redécouverte de l’Art. Peut-être le suggère-t-il quand il capte le sourire d’Elena prise d’un fou-rire en pleine nature. Le plus important finalement est de philosopher, c’est-à-dire d’aimer le savoir ou la sagesse au sens étymologique. Les citations qu’Elena tire de sa lecture ardue de Sloterdijk sont après une crise grave une invitation à réfléchir au destin de l’humanité et aux solutions fraternelles pour un monde meilleur. Certains déploreront l’absence de péripéties ou la vision de petits bourgeois intellos accrochés à leurs livres ou à leurs recettes de cuisine. Pour ma part, j’ai puisé dans ces retrouvailles entre amis une sensation d’apaisement et leur quête de sens est plutôt gracieuse et inspirante. Un film qui donne envie de lire un livre de philosophie a toute mon estime.

Évidemment se pose la question de la fin et mes quelques commentaires viendront divulgâcher le film. Tant pis, il faut en parler. La petite promenade dans la nature est soudainement interrompue, l’image se brouille avec l’intrusion à l’image de l’équipe de tournage. Le moment de grâce est fini, ce n’était qu’un film. C’est une conclusion difficile à avaler et je serais bien resté plus longtemps dans la campagne espagnole, à profiter du soleil et à divaguer sur ma propre vie. Après Venez voir et Tu dois changer ta vie, c’est encore une injonction du réalisateur : sors du film, de la fiction et mets-toi à réfléchir sur ta vie. J’aurais préféré qu’un surplus de fiction m’incite à le faire mais j’accepte la proposition du réalisateur et je ne le regrette pas, quelques semaines plus tard.

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