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La nuit du 12 (Dominik Moll)

Encore un film de flics, c’est une tradition dans le cinéma français. Celui-ci est inspiré du récit 18.3 — Une année à la PJ de Pauline Guéna. Comme un mélange de L’affaire SK1 (2014 – Frédéric Tellier) et de L.627 (1992 – Bertrand Tavernier), il narre la tentative de résolution d’un meurtre par la PJ de Grenoble tout en décrivant un certain quotidien policier. Le scénario raconte comment une équipe d’enquêteurs tente d’élucider l’assassinat sordide d’une jeune femme sur plus de 3 ans, la frustration qui s’accumule, les fausses pistes, le temps qui passe. Les nombreuses scènes de commissariat décrivent aussi un état d’esprit policier, des réflexes d’enquête, une routine de procédures et de soucis matériels et personnels. On se plaint de la photocopieuse qui ne fonctionne pas mais c’est à petite touche, on ne nous sert pas de discours syndical sur le manque de moyens, ce n’est pas le sujet.

Les films trépidants sur un meurtrier insaisissable, les fausses pistes et la frustration policière, c’est devenu un stéréotype de cinéma. Animé d’un rythme assez doux, La nuit du 12 ne viendra pas faire concurrence à Zodiac de Fincher qui est insurpassable dans le domaine. Il ne cherche pas à singer un modèle de film américain, ce film sensible a autre chose à proposer tout en s’étant très bien approprié certains codes du polar. Il s’intéresse à la victime et à la manière dont le jugement que s’en font les policiers influe sur le cours de l’enquête. De retour d’une soirée, Clara Royer (Lula Cotton Frapier) meurt immolée par un homme cagoulé. L’enquête progresse, les relations de Clara sont décortiquées et un certain embarras apparaît. Non seulement la victime est une jeune femme assez libre sentimentalement et sexuellement mais pratiquement tous les hommes qu’elle a croisés auraient pu s’en prendre à elle, par jalousie, frustration ou goût de la violence. Il y a quelque chose d’encore plus horrible dans ce meurtre que sa propre barbarie, c’est sa normalité : chaque jour, des hommes tuent des femmes et on peut leur trouver des tas de bonnes raisons de le faire – le fameux « mais » dans « bien sûr sa mort est tragique mais quand même… »

Preuve que ce film parvient à dépasser les clichés du genre : plus qu’une affaire de flic obsessionnel, ce meurtre est la révélation crue du caractère banal et insurmontable des féminicides. Le capitaine Yohan, très bien incarné par Bastien Bouillon, fait à la fois l’apprentissage de l’échec et de la lucidité. Non seulement il n’arrive à rien mais il doit petit à petit déconstruire sa propre pratique et celle de ses hommes. Le dialogue fait souvent surgir des vérités vertigineuses : « la plupart du temps, ce sont les hommes qui tuent les femmes et ce sont des hommes qui enquêtent. » Les flics sont en majorité des hommes qui à cause du métier sont célibataires ou embourbés dans leur vie de couple. Ils n’échappent ni à la misogynie ni au ressentiment. La très belle interprétation de Bouli Lanners montre la vulnérabilité de ces fonctionnaires qui servent imparfaitement la loi et l’ordre. L’introduction sur le tard d’une jeune enquêtrice d’origine maghrébine indique la lente évolution de ce corps de métier vers d’autres « visages ».

Plutôt que le muscle et la virilité (comme dans Bac Nord), La nuit du 12 montre la fragilité de ses flics face au Mal. En étant potentiellement partout, dans chaque suspect, le coupable n’est nulle part. Il n’est pas difficile à saisir, il est invisible. Face à un ennemi absent, on ne peut donc jouer à l’homme d’action ou au héros, il s’agit de faire son métier sans se désespérer, de changer ses méthodes et ses préjugés si on le peut. Le Mal est comme ces altitudes qui entourent la scène du crime à Saint-Jean-de-Maurienne, immuable. Le paysage savoyard filmé dans des couleurs parfois chaudes donne une idée des montagnes à déplacer pour un simple flic. Yohan qui à vélo faisait des tours de piste « comme un hamster en cage » grimpe des cols dans les dernières images du film. Le film dit que chaque flic de la PJ garde l’obsession d’une victime et on comprend que c’est comme un poids qui reste toute une carrière. En menant l’enquête sur Clara Royer, le capitaine Yohan aura réussi à alléger ce poids et à trouver un petit peu de grâce.

La nuit du 12 est un film émouvant sans faire d’effusions, intelligent par sa vision critique et son refus des dualités faciles. Sans se laisser engloutir par sa thèse, sa réussite tient à son écriture aboutie dosant suspense et réflexion.

Commentaires

  • J’en sors et ce film m’a fait du bien c’est excellent à contre courant des clichés … le sujet n’est plus le sujet … la sensibilité montrée des deux flics principaux est très touchante et on ne s’ennuie pas une seconde tant tout est recentré sur l’humanité ; j’ai pensé à une très belle vidéo de Viola vue à Bilbao, à travers l’image de la jeune femme qui brûle

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