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Dune (Denis Villeneuve vs David Lynch)

A ce stade, l’exercice de comparaison est délicat. Alors que la version de David Lynch de 1984 dure 2H17, celle de Denis Villeneuve ne couvre que la moitié du récit et prend 2H35. Il me manque donc le second épisode qui sortira sans doute dans un an. De plus, je n’ai pas lu le roman de Frank Herbert et je n’avais en mémoire que quelques images furtives du film de Lynch avant de le revoir. Le Dune de Villeneuve me fait redécouvrir une saga futuriste, en l’an 10191, présentée comme une lutte de pouvoir entre maisons rivales. Sous le règne de l’empereur Padishah Shaddam IV, la planète Arrakis passe sous le contrôle de la maison Atréides. Leurs rivaux Harkonnen se retirent mais c’est en fait un piège qui se referme sur les Atréides. La planète est stratégique pour l’empire car elle est la seule où s’exploite l’Epice, une substance permettant d’augmenter les capacités cérébrales et de pouvoir faire de la navigation spatiale à travers l’imperium intergalactique. Celui qui consomme l’Epice voit son regard bleuir intensément.

Les deux films sont centrés sur le personnage de Paul Atréides (Timothy Chalamet et Kyle MacLachlan) qui est désigné comme l’Elu. Le héros est l’objet d’une prédestination exceptionnelle. On comprend qu’il est appelé à renverser l’ordre établi et que le peuple autochtone des Fremen va jouer un rôle important dans ce destin. Alors que Villeneuve et ses scénaristes ont dessiné un personnage aseptisé à la Luke Skywalker, messie en attente de révélation qui fait des rêves prémonitoires, le Paul Atréides de 1984 est davantage immergé dans sa vie mentale, dans les rêves et les images qui le traversent. Kyle MacLachlan donne plus de fragilité et d’intériorité au personnage que ne le fait Timothy Chalamet. Non seulement, Lynch utilise la voix off pour faire entendre les pensées qui animent ses personnages mais il ponctue couramment leurs visions d’images fortes comme cette main filmée en gros plan - résonne alors le célèbre mantra « le dormeur doit se réveiller ». Le Dune de 1984 est marquant par sa dimension mentale qu’on dit fidèlement tirée du roman. Ses images font apparaître une lutte entre Atréides et Harkonnen dépassant largement l’enjeu du pouvoir temporel. Leur guerre est celle de l’esprit contre la chair. Quand le héros se répète que « la peur tue l’esprit », on comprend sa lutte intérieure contre le pure instinct animal qui fait perdre courage et maîtrise de soi.

Alors que les Atréides sont décrits comme gens de hauteur aristocratique travaillant leur pouvoir mental et leur capacité télépathique à prendre le pouvoir sur les individus (cela fait partie de la formation du jeune Paul), les Harkonnen sont des personnages grotesques et animaux. Chez Lynch le baron (Kenneth McMillan) est une masse flottant comme une baudruche. Son visage est cruel et enlaidi de pustules. Il semble s’adonner aux plaisirs de la torture et du cannibalisme. Ses sbires sont de gros bonhommes roux et tonsurés et à l’image de Sting (Feyd-Rautha Harkonnen) qui interprète le neveu du baron ils ressemblent à d’affreux jojos punks. Les costumes et maquillages chez Lynch donnent une patine kitsch et désuète qui participe aussi du côté culte du film pour ceux qui l’aiment. Ceux qui détestent ne manqueront pas de souligner certains aspects ridicules ou mal faits comme la dégaine risible de Brad Dourif ou ces yeux au bleu trop prononcé, signes d’une palette graphique mal maîtrisée. En termes esthétiques donc, le film de Lynch est davantage attaquable que celui de Villeneuve, plus neutre, dont le défaut technique majeur est cette musique informe et assourdissante de Hans Zimmer, absolument sans intérêt. Je préfère la musique et les thèmes de 1984, composés par Toto et Brian Eno.

Le combat entre esprit et chair apparaît peu chez Villeneuve. Son univers est à la fois plus neutre, plus monumental et minéral. Il travaille sur de grandes matières filmées en plan large : béton, pierre, sable, roche. Il s’est appliqué à gommer les aspérités et effets kitsch de cet univers mythique pour en exploiter les éléments spectaculaires comme les vers géants qui peuplent le désert. A contrario, Lynch utilise lui les ressources du studio, de la toile peinte et des machines bricolées, portant plus attention aux détails signifiants. Son film se rapproche de ces productions hollywoodiennes des années 50 fabriquées en studio comme La conquête de l’espace de Byron Haskin. Comme c’est une production Dino de Laurentiis, les mauvaises langues diront qu’il est kitsch comme Flash Gordon ou Conan le Barbare produits aussi par l’italien ! Il a plus de charme mais des défauts plus voyants. On constatera à regret que son héroïne Fremen Chani n’a aucune consistance ni intérêt. De manière incompréhensible les personnages féminins sont sabotés dans le film de 1984.

Le réalisateur canadien est lui focalisé sur l’ampleur et la fluidité de son récit. Bien que plus solennel, son film coule mieux, a plus de rythme, plus de maîtrise hollywoodienne. Il est découpé en grandes séquences lisibles pour le spectateur. Alors que Dune de 1984 devait durer 3H ou plus mais a été amputé, celui d’aujourd’hui pourra compter sur 5 heures de récit en tout. La réussite programmée du film de Villeneuve va se jouer dans sa seconde partie. Ce n’est pas garanti mais le cinéaste va devoir passer du survol de la planète de sable à une entrée dans ses secrets et ses profondeurs. Il s’agira alors de briser la belle transparence de son héros et de le faire passer d’enfant à adulte. Il s’agira aussi de donner consistance à cette épice psychédélique qui n’est pas un minerai mais une source de puissance et de connaissance. Comment va-t-il incarner la transformation spirituelle de Paul Atréides ? Va-t-il insuffler la dose de mysticisme et d’esprit qui manque à son premier épisode ? Comment va-t-il dévoiler la culture du peuple Fremen et donner consistance à son héroïne Chani (Zendaya) ? Même si son film est plus lisse, j’avoue avoir envie de voir la suite. Cela aurait aussi le mérite de combler les lacunes de celui de 1984 qui dès lors que Paul est adopté par les Fremen comme Madhi (il prend aussi les noms d’Usul et Muad’Dib) suit un parcours rectiligne qui semble dû aux coups de ciseaux de ses producteurs ! Les séquences de reconquête de Dune s’enchaînent comme dans un rêve mais perdent toute espèce d’enjeu et de tension. Le cinéma de Lynch s’amoindrit pour devenir une série B plaisante mais maladroite. Le résultat global a de la poésie et des bribes d’étrangeté mais son souffle épique tourne court comme s’il fallait arriver rapidement à la fin.

Alors que Jodorowsky avait préparé son Dune de 1973 à 1977, que Moebius et H. R. Giger devaient contribuer à la production artistique, que Pink Floyd, Magma et Gong devaient réaliser la musique, on se dit que si ses producteurs n’avaient pas reculé, on aurait peut-être devant les yeux une adaptation mystique et psychédélique du livre d’Herbert. Mais l’époque a changé et on ne croit plus à la possibilité d’une œuvre spirituelle. Si Villeneuve réussit où Lynch a raté, on aura au moins une version épique et peut-être plus profonde qu’elle n’est dans sa première partie. Pour l’instant le Dune de 2021 est une promesse.

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