John Huston
Michel-Ange (il peccato) (Andreï Kontchalovski)
Rome porte encore la marque de son génie mais Michel-Ange, artiste total de la Renaissance, sculpteur, peintre, architecte, poète, ne semble pas avoir été un grand sujet d’intérêt pour le cinéma avant le film récent d’Andreï Kontchalovski (2019). Après quelques recherches (merci IMDB), j’ai juste trouvé trace d’un film plutôt apprécié de Carol Reed : L’extase et l’agonie, mettant en scène les rapports entre Michel-Ange (Charlton Heston) et le Pape Jules II (Rex Harrisson) pendant la réalisation du plafond de la Chapelle Sixtine. La bande-annonce de cette production de 1965 révèle une fresque flamboyante dans la tradition hollywoodienne, ne négligeant ni les décors grandioses, ni les intrigues ni les amours de l’artiste.
Le Michel-Ange de Kontchalovski commence au moment où la Chapelle Sixtine est révélée à Jules II et ne s’attarde pas sur sa réalisation. Prenant acte de son génie acclamé par tous, le film du réalisateur russe ouvre en fait sur une période de crise et de remise en cause de l’artiste. Les premières séquences le montrent accablé, paranoïaque, en proie à des problèmes d’argent. Il est certes au sommet de sa gloire mais l’arrivée possible au pouvoir des Médicis à la place des Della Rovere fragilise sa position au Vatican. Il doit louvoyer, donner des gages aux futurs vainqueurs sans s’aliéner le pouvoir en place. Il est certes qualifié de « génie divin » par ses contemporains mais le film ne s’intéresse pas à son travail quotidien de création. Est-il besoin qu’on le voit dessiner des plans, donner des coups de burin et polir ses chefs-d’œuvre ? Chacun pourra contempler et admirer la Chapelle Sixtine ou son Moïse à Rome, il n’y a pas forcément besoin d’un film pour démontrer son génie. Ce qui compte ici est le portrait singulier d’un homme, la description de sa condition et d’une époque troublée, la Renaissance, qu’on a tendance aujourd’hui à porter aux nues sans bien la connaître.
Michel-Ange (il peccato) joue sans cesse des contrastes entre les beautés de la création (paysages et intérieurs) et la saleté de la vie matérielle. Tout en teintes minérales, le format carré des images illustre un certain sens de la grandeur propre à l’époque. On va chercher des blocs de marbre sur les hauteurs de la Toscane pour décorer les villes de monuments beaux et massifs. On cherche la verticalité mais on est le plus souvent collé aux sols boueux et à la merde des villes. Dans de nombreuses séquences, les hommes sont ramenés à leur vie organique (maladies, déjections, odeurs) ou matérielle (le travail des mineurs de Carrare, les contrats, les pièces d’or). Par un style empreint de vérisme, cherchant l’authenticité, Kontchalovski opère une certaine démystification de la Renaissance, période de troubles et de violences politiques qui ressemble à un Moyen-Âge mais avec plus d’argent.
Rêvant sans doute d’être Dante dont il connaît par cœur l’Enfer, Michel-Ange n’en traverse-t-il pas lui-même les cercles ? Luxure, gourmandise, avarice, colère, hérésie, violence, tromperie : de nombreuses séquences du film montrent le génie sous un jour sombre et malhonnête. Très convaincant, l’acteur italien Alberto Testone prête son corps ramassé et son visage enlaidi au personnage. Il porte une barbe en pointe qui lui donne des airs diaboliques. On nous dit qu’il ne se lave pas et sent mauvais. On voit surtout un homme orgueilleux, jaloux, faible, conscient de sa petitesse et écrasé par sa condition de génie. Le sous-titre il peccato (le péché) résume son état, celui de pécheur méritant l’enfer.
Kontchalovksi décrit la condition d’artiste tel qu’elle a souvent été dans l’Histoire : soumise à de puissants commanditaires. Michel-Ange est un esclave enchaîné à des contrats de plusieurs années, dépendant de familles puissantes qui ont besoin de lui pour servir leur gloire et leur mégalomanie. Le constat est cruel et on se dit que le réalisateur, qui a commencé le cinéma en 1960 et a connu la condition d’artiste en URSS sait très bien ce que cela veut dire de rendre compte à des puissances tyranniques. Ils ne vous tuent pas car ils reconnaissent votre talent mais ils vous écrasent en exploitant vos faiblesses.
Le film a un côté frustrant, avouons-le. Il y a dans Michel-Ange (il peccato) un désespoir monolithique ne tolérant aucune échappatoire. Le film reste très allusif quant à la vie affective de l’artiste dont on sait qu’il était homosexuel. On ne voit pas d’amour ni présence de Dieu et les images des œuvres d’art sont fugitives, comme si la beauté était une chose rare et éphémère. A un moment Michel-Ange admire la fille d’un marbrier dans son sommeil mais elle ne sera qu’une vision fugace, une présence condamnée par l’existence. Le film est à l’image du bloc massif de marbre que les mineurs de Carrare font descendre de la montagne. C’est une œuvre dure et austère qui révèle à la fois le poids de la vie terrestre et le mystère de la création. Ce que l’on ne saura jamais vraiment, c’est comment l’artiste va transformer ce bloc pur comme un morceau de sucre en une statue qui semble animée par la vie. On nous aura parlé du divin mais on ne l’aura jamais vu…