Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

First cow (Kelly Reichardt)

C’est un western mais qui n’en a pas les contours. Le format scope dont nous avons tellement l’habitude, ce format large qui saisit les horizons du Far West, est remplacé par un format quasi carré (le 1,375:1) qui surprend dès les premières images. Il surprend d’autant plus que le fleuve bordé de forêt laisse apparaître un cargo fluvial ! Le dernier film de Kelly Reichardt commence donc aujourd’hui et lentement dévoile son projet. Une femme se promenant sur la rive découvre deux squelettes dans la terre. C’est le début du récit et l’expression d’un projet qu’on pourrait qualifier d’archéologique. Deux êtres humains sont morts à cet endroit et la réalisatrice nous propose de découvrir leur destin. Les séquences suivantes nous emmènent au début du 19ème siècle (1820 d’après les notices du film). Kelly Reichardt remonte aux origines du pays, au moment où il était nouveau et sauvage, où seuls des hommes armés s’y aventuraient.

C’est un western mais qui n’en a pas le rythme ni les archétypes virils. Pas de musique tonitruante qui accompagne des cavalcades mais quelques notes de guitare acoustique. Pas de scènes d’actions pétaradantes mais un film au trot lent, démontrant tout de même un certain sens du récit. Le genre est tellement marqué par les hommes d’action qu’on en oublierait que l’Amérique a été occupée aussi par des gens ordinaires qui ne cherchaient pas toujours la bagarre. Les deux « héros » de First cow sont Otis « Cookie » Figowitz (John Magaro) et l’immigrant King-Lu (Orion Lee). Un cuisinier et un chinois, personnages oubliés du récit mythique de la conquête de l’Ouest. Alors que la violence est omniprésente autour d’eux, ils ne portent pas d’armes, ne jouent pas du poing et sont de tempérament doux. On les voit deviser tranquillement sur la bonne manière d’accumuler de l’argent et sur les entreprises qu’ils pourraient créer. Ils font penser aux personnages de Des souris et des hommes de Steinbeck. Leurs aspirations de réussite ressemblent quelque peu à celles de George et Lennie qui rêvent de posséder une petite exploitation, pour y vivre « comme des rentiers ».

La réalisatrice prend son temps et le spectateur finit par s’y couler doucement. Le rythme est tranquille, l’action est minimaliste et assez déroutante pour le spectateur. Reichardt filme les gestes quotidiens de ses deux personnages liés par l’amitié et des rêves communs. C’est un vrai couple à qui elle attribue des occupations qu’on pourrait qualifier de « féminines » pour le genre du western (le ramassage de champignons, les conversations, la cuisine, la décoration de la cabane). Mais le calme est trompeur, le décor nous donne une illusion d’apaisement. Il faut dire que le cadre forestier bucolique offre de l’espace et une forme d’abondance rassurante. On peut s’installer où on veut, les hommes sont peu nombreux, les bêtes à peau partout, on peut chasser et cueillir à foison. Bien qu’une unique vache, la first cow du titre, ait fait son apparition, l’agriculture n’a pas encore transformé cette terre sauvage, la Nature n’a pas encore été domptée. On perçoit dans les images une forme de respect craintif pour elle. Les hiboux ou les loups qui peuplent la forêt en sont encore maîtres. Est-ce un Eden ou la présence de l’homme (et de la vache) ont déjà tout condamné ?

La réalisatrice développe doucement l’intrigue d’un conte qui va s’avérer cruel, elle nous a prévenu dès l’entame du film. Cookie et King-Lu voient dans la vente de beignets aux trappeurs un moyen de gagner de l’argent. Pour que ce soit savoureux et qu’ils puissent en vendre beaucoup, ils décident de traire le lait de la vache à l’insu de son propriétaire le Chief Facteur (Toby Jones). Alors que le territoire est encore sauvage et ouvert à tous, le fait de toucher à la propriété de ce potentat local va leur porter malheur. Sans en avoir l’air, avec économie et modestie, la cinéaste utilise une histoire individuelle tragique pour métaphoriser le capitalisme qui a fondé son pays. Celui qui croit que chacun peut devenir prospère se trompe. Même dans un pays vierge à la Walden comme l’Oregon de 1820, il faut se garder de toucher aux biens des puissants. Cette première vache qui donne à son propriétaire le monopole du lait est l’avant-garde d’une société capitaliste impitoyable. Cette première vache sera suivie de beaucoup d’autres qui appartiendront toujours aux mêmes. Surtout pas aux doux rêveurs comme Cookie et King-Lu, entrepreneurs déjà perdants du rêve américain.

Les commentaires sont fermés.