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Cinéclub: Elmer Gantry, le charlatan (Richard Brooks)

Quand passent certains reportages TV sur la pratique religieuse des Américains, on est parfois médusé devant les manifestations de la foi évangélique. Certains mélanges assumés de mysticisme outrancier, de moralisme et de business laissent pantois. Pendant la campagne présidentielle, on a par exemple assisté à la prière débridée (et ridicule) de la pastoresse de Donald Trump, dame devenue richissime grâce à ses conseils spirituels… Elmer Gantry le charlatan, film de 1960 et adaptation du roman de Sinclair Lewis parle de ces phénomènes très populaires aux Etats-Unis, déjà à l’époque de la Prohibition. C’est au cours d’une de ses tournées qu’Elmer Gantry (Burt Lancaster), représentant en commerce, rejoint le mouvement religieux de Sister Sharon Falconer (Jean Simmons) dont il tombe amoureux. On parle ici de mouvements revivalistes : des prédicateurs auto-proclamés sillonnent l’Amérique rurale pour convertir en masse et condamner les vices de l’époque (alcool, fornication… athéisme).

Signe de la méfiance française vis-à-vis des religions ? Alors que le titre original est Elmer Gantry, on a accolé en français le qualificatif de charlatan, aussi bien au roman qu’au film. On verra que celui-ci, scénarisé par Brooks lui-même est loin d’être une dénonciation univoque du personnage Gantry. Je n’ai pas lu le roman mais le film décrit des personnages plus ambivalents que repoussants. Gantry est doué d’une capacité fabuleuse à baratiner et à tenir une audience. L’homme combine une culture biblique solide et une soif de plaisir à peine dissimulée. Au choix, on dira que c’est un homme à femmes ou un pécheur à peine repenti.

Richard Brooks impose en Burt Lancaster une présence physique massive à l’écran, qui électrise aussi bien les paroissiens que les spectateurs du film. Parfois accompagné de musique, l’acteur se donne dans une transe orale impressionnante. Le charisme de Gantry se déploie dans l’habile découpage des scènes de prêche. Son visage et son corps filmés en gros plan ou en contre-plongée alternent avec ceux des paroissiens buvant ses paroles. Les chants, le montage et les couleurs souvent chatoyantes orchestrent une ferveur partagée. Certes Gantry est conscient de ses effets et n’hésite pas à les pousser jusqu’au comique (le paroissien qui aboie !) mais il le fait avec un sourire carnassier et un tel plaisir qu’il est difficile de n’y voir qu’un hâbleur cynique. Le roman délivre peut-être un portrait plus sombre de ce personnage mais ses prêches bouillonnent de joie et d’un plaisir quasi charnel.

La conversion est de même nature qu’une vente sauf qu’ici on fourgue l’amour de Dieu à des gens désorientés et malheureux. Il faut donc à ses mouvements religieux des camelots comme Elmer Gantry. Mais il leur faut aussi des guides spirituels, des gens doués pour la prière et le recueillement. Face à la vitalité monstrueuse d’Elmer, Jean Simmons incarne une vocation a priori sincère et rationnelle. C’est un mélange de tête froide et de mysticisme, au  profil de self-made woman de la religion. Le couple d’acteurs fonctionne d’autant mieux qu’à l’envahissement sensuel de l’homme, s’oppose la retenue froide de la jeune femme. Habillée de couleurs claires, souvent de blanc, Simmons exalte la pureté presque sans tache de son personnage. Différents, ils sont toutefois indissociables pour convertir les petites gens, leur association est issue du calcul cynique de Sharon. Le double portrait psychologique que propose le film est donc assez subtil. Il permet de comprendre les motivations derrière le cirque religieux qu’ils ont créé. C’est par le regard sceptique du reporter Lefferts (Arthur Kennedy), double du cinéaste, que nous voyons les coulisses personnelles de ce mouvement religieux. Son personnage d’observateur permet de garder une distance critique au sujet. A-t-on affaire à des charlatans, hypocrites et affairistes ? Vu de l’extérieur, il y a de cela mais les choses sont plus compliquées. Elmer et Sharon vendent de la sainteté et de la morale alors qu’ils sont juste humains, qu’ils ont leurs faiblesses. Certes la religion est un moyen de réussir et de gagner de l’argent mais le film ne se résout jamais au charlatanisme du titre. Brooks montre les dérives du religieux mais se refuse à condamner ses héros.

On comprend que le roman ait fait scandale et que le sujet irrite aux Etats-Unis. Afin d’éviter d’être pris pour le brûlot antireligieux qu’il n’est pas, le film se fend même d’un carton pour dissiper tout malentendu. S’il dénonce quelque chose, c’est surtout le mariage peu reluisant entre business et religion. Sister Sharon et Elmer s’installent dans la ville de Zenith, à la demande de notables et de pasteurs qui veulent remplir leurs paroisses et renflouer leurs caisses. Cette arrivée dans une ville américaine donne lieu à une foire commerciale assez ridicule et s’accompagne de débordements puritains qui sont bien illustrés par Brooks dans les séquences de foule. Ces mouvements revivalistes tenus par des prêcheurs sortis de nulle part sont en soi porteurs d’excès. Le grégarisme qu’ils suscitent peut se retourner contre eux. On verra que lorsque le passé de Gantry ne coïncide plus avec la sainteté qu’il affiche, la foule peut se déchaîner et brûler ce qu’elle adorait la veille.

Voilà un film enlevé et énergique qui passe très vite malgré ses 2H20 de récit. Burt Lancaster et Jean Simmons sont excellents dans des registres contrastés et complémentaires. On peut reprocher au scénario son dualisme un peu facile pour les personnages féminins (la sainte et la putain), le côté sans doute mécanique de sa fin tragique succédant à un bonheur conquis de haute lutte. Il n’en demeure pas moins un beau classique américain sur la dualité de ces mouvements religieux balançant entre hypocrisie et exaltation.

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