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Cinéclub : L’ange de la vengeance (Abel Ferrara)

L’Abel Ferrara que je connais très imparfaitement est ce cinéaste new yorkais fréquentant les festivals au bras d’Asia Argento ou Béatrice Dalle, révéré pour The King of New York, Bad Lieutenant ou Nos funérailles. Ce n’est pas usurpé : Bad Lieutenant me procure à chaque vision une dose de stupéfaction, merci Harvey Keitel. La drogue, la noirceur, la rédemption, l’imagerie catholique, d’accord mais Ferrara c’est presque une trentaine de films depuis 1976. Son premier long métrage est un film X (9 Lives of a wet pussy), son deuxième (The driller killer) est considéré comme un mélange de comédie et de slasher movie. Le troisième est cet Ange de la vengeance, petit objet fascinant d’1H17 qui synthétise parfaitement le côté impur de ce cinéaste à mi-chemin entre série B violente, réalisme et flashs esthétiques.

Si j’avais quelques analogies à suggérer, je dirais que c’est un hybride réussi d’Un justicier dans la ville et de Carrie situé dans les décors de French Connection. Une innocente se venge dans un New York qui pue le stupre et la crasse. Thana (Zoé Tamerlis) est une jeune couturière muette violée puis agressée le même jour dans son appartement. Le double traumatisme qu’elle subit advient par l’effet d’un montage sec et percutant dans lequel la violence s’abat sans pitié ni complaisance. Cet enchaînement très rapide de chocs suivis d’hallucinations permet au cinéaste de faire basculer son personnage dans la folie. Cette femme qui n’a pas la parole donc pas la possibilité d’exorciser sa douleur, se transforme en ange exterminateur pour tout mâle s’approchant d’elle. Le viol a jeté sur les traits pâles et innocents de Thana (diminutif de Thanatos ?) une expression de dégoût et de sidération qui ne peut se résoudre que par la mort. L’actrice joue parfaitement de son physique fragile et de l’expressivité de son visage. Idée géniale du mutisme qui donne une puissance décuplée à son personnage vengeur.

Ferrara filme New York à la manière documentaire d’un Friedkin, à hauteur de personnage, au ras de la misère (cf. les deux séquences de clochards). 1981, date de sortie du film, est pour la ville « the most violent year » et ça se ressent : ses rues arpentées par des clodos et des pauvres types sentent le danger et l’agression. Mais plus que la délinquance, c’est l’atmosphère lubrique qui hante et en même temps semble amuser le cinéaste. Les mecs matent, harcèlent, ne pensent et ne parlent que de sexe. Ils sont laids mais ils tentent leur chance comme dans les films de Woody Allen, sauf qu’ils n’ont pas le vernis intellectuel ou artiste pour faire illusion. Qu’ils traînent dans la rue ou fassent des métiers honorables, ils sont pour Thana des violeurs potentiels inspirant la peur et méritant une balle entre les deux yeux. Il est assez rare qu’un film exprime cette terreur-là, ce stress submergeant les femmes victimes de viol. On retrouvera cela avec un style plus outré dans le Blue Steel de Kathryn Bigelow, avec Jamie Lee Curtis. Les hommes sont des dangers pour les femmes et les rues sont pleines de pervers. Cela dit, la tueuse finit par ne plus distinguer entre les agresseurs et les autres, sa logique déraille. La défense des femmes se convertit en jeu de massacre aveugle.

Le film cultive un côté série B grotesque lorsqu’elle dézingue des voyous sortis d’Un justicier dans la ville ou un sheikh arabe se baladant en limousine. En adoptant un registre parfois comique, parfois gore, le cinéaste semble refuser tout propos tranché et moraliste. Thana cherche à se débarrasser du cadavre de son agresseur resté dans l’appartement. Elle le fait avec difficulté, par morceaux. On ne se débarrasse pas comme ça du corps des hommes, par extension de tous les hommes, semble nous dire le cinéaste qui prend sa part de culpabilité en jouant lui-même le rôle du premier violeur.

A l’image de sa séquence finale d’Halloween, L’ange de la vengeance est un bal macabre dans lequel Ferrara met en scène la fin d’une certaine époque et la venue inévitable d’une autre. Il prolonge ce qu’avait entamé Scorsese avec Taxi Driver sans en partager le désespoir nihiliste. La ville est pourrie par la corruption, la grande purge arrive. A la place d’un conducteur de taxi vétéran du Vietnam et donc rejeton du passé, c’est une jeune femme à la beauté froide, travaillant dans la mode, qui appuie sur la gâchette. Elle est grimée comme un mannequin glacé des années 80 puis elle porte l’habit de nonne. La nouvelle décennie tue la précédente : les excès libidinaux du passé font place à la répression. Tout à ses contradictions de cinéaste fasciné à la fois par la déchéance et par la rédemption, Ferrara a décidé qu’il fallait mieux en rire ou en tout cas ne pas en pleurer comme en témoigne la dernière image de son film. Jonglant entre les registres (thriller glauque, horreur, comédie de mœurs) et les contradictions apparentes, il a enfanté un film tordu et audacieux.

Pour découvrir sa « jeune » filmographie, on peut aussi regarder le divertissant mais moins radical New York, 2H du matin (1984) avec Melanie Griffith et Tom Berenger. La trame du loup solitaire tuant des femmes dans la grande ville (Fear city : le titre original) n’est pas nouvelle mais l’ambiance nocturne lourde de menaces, entre clubs de striptease et rues mal famées, est plutôt prenante.

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