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Le sel des larmes (Philippe Garrel)

Je suis a priori client du cinéma de Philippe Garrel. J’en ai une connaissance limitée et je continue à découvrir ses films au fur et à mesure. Saisi par la beauté douloureuse de L’enfant secret (1979), j’ai pu découvrir aussi L’ombre des femmes (2015) et L’amant d’un jour (2017). Me plaisent la simplicité des récits, l’usage du noir et blanc, la part faite aux amours, à l’émotion des rencontres et des séparations. Son cinéma me semble assez peu intellectuel, d’essence lyrique surtout. La musique traduit souvent l’affect de ses personnages. Ici on retrouve celle de Jean-Louis Aubert dont la voix colle bien aux émois de jeunes gens.

Le sel des larmes, voici un titre dans le registre émotionnel. On pleure beaucoup dans ce film où il est question de quête amoureuse et de ruptures. Luc (Logann Antuofermo) arrive à Paris pour passer le concours de l’école Boulle. Il rencontre Djemila (Oulaya Amamra). Il rentre en province chez son père (André Wilms) puis revoit Geneviève (Louise Chevillote). Revenu à Paris pour ses études, il tombe amoureux de Betsy (Souheila Yacoub). Les amours sont fragiles et le plus souvent ne sont pas vraiment des amours. Luc séduit puis laisse tomber. Égoïste, immature, lâche : le personnage n’est pas attachant du tout. On pourrait dire que c’est un bon garçon attaché à son père mais le paternel connaît son fils et semble regretter de l’avoir trop choyé.

Luc est le « héros » mais c’est son père qui est le personnage central. André Wilms joue de magnifique manière un homme à la fois attentif et à bonne distance. S’il y a eu transmission entre le père et le fils, c’est essentiellement cet amour du travail et de l’artisanat que Luc va perfectionner à l’école Boulle. Il va réaliser le désir paternel : que son fils fasse mieux que lui. Peut-être y a-t-il en creux un message de Philippe Garrel pour Louis Garrel, le sentiment qu’il va continuer l’œuvre et faire mieux. Pour ce qui est des sentiments, le regard se fait plus circonspect. Luc aime les belles femmes et ne se prive pas de collectionner les aventures. Le vieux monsieur se garde bien de juger son fils alors que celui-ci adopte un comportement très égoïste.

L’amour est vu comme une épiphanie émotionnelle qui se dissipe assez vite. On se dit des « je t’aime », on se regarde avec intensité et puis l’égoïsme reprend le dessus quand il s’agit de Luc. On a quand même l’impression que les auteurs du film qui ont plus de 70 ans, sont restés dans une image des relations amoureuses datant des années 60. Il y a d’un côté le garçon volage et velléitaire, qui écoute en priorité ses désirs. De l’autre des filles comme Djemila ou Geneviève qui privilégient leurs sentiments et vont se retrouver trompées ou déçues. Le problème du film réside dans le manque d’épaisseur de ses personnages féminins. Garrel sublime le visage et le regard d’Amamra ainsi que les corps magnifiques de Chevillotte et Yacoub. Mais il ne s’intéresse qu’à ses personnages masculins dont elles sont les satellites érotiques – Souheila Yacoub rappelle la puissance érotique de Béatrice Dalle jeune. Luc est un jeune homme médiocre et agaçant. Les femmes qu’il rencontre sont des révélateurs de son caractère mais elles ne sont pas dotées d’une vie propre et consistante, ce qui se révèle assez agaçant au fur et à mesure du récit.

Que dit Garrel de la jeunesse ? Pas grand-chose d’original. La jeunesse, c’est le désir et ses désordres, ce sont les sentiments multiples et changeants. On a tout de même l’impression que la jeune femme des années 2000 décrite ici est une créature émotive, crédule et facile à mettre en cloque. Quand survient Betsy (Souheila Yacoub), on s’attend à une passion sublime et terrible mais Garrel n’a pas donné de consistance à ce rôle et l’intrigue s’embourbe dans un ménage à trois superficiellement décrit. On a donc du mal à s’intéresser à cette histoire bancale qui sonne datée et en décalage avec les sublimes images du directeur de la photographie Renato Berta.

Sur les amours contrariés d’un jeune provincial, je conseillerais plutôt Mes provinciales de Jean-Paul Civeyrac (2018), également filmé dans un beau noir et blanc et dont j’ai dit du bien dans ce blog, ici.

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