John Huston
Light of my life (Casey Affleck)
C’est l’histoire d’un père (Casey Affleck) et de sa fille Rag (Anna Pniowsky) survivant dans un monde post-apocalyptique. Hormis quelques survivantes dont Rag, toutes les femmes ont été éradiquées par un virus et il ne reste plus que les hommes. Héritier de la culture biblique, le cinéma américain est familier de la catastrophe et du châtiment divin. Souvenons-nous de La route (Hillcoat), de Sans aucun bruit (Krasinski) ou d’It comes at night (Shults) récemment. L’hostilité du monde produit à chaque film son lot de suspense, ses accélérations outrancières. Il faut échapper à tel fléau effrayant, humain ou surnaturel, souder le noyau familial pour protéger sa progéniture du massacre.
Light of my life, deuxième long métrage de l’acteur Casey Affleck, révèle des enjeux différents des films mentionnés. Il débute sur un dialogue intime de 10 minutes entre Rag et son père. Il progresse sur un rythme lent et pesant, le spectaculaire n’y est jamais central. La déambulation des deux êtres n’a pas d’objectif précis. Dans ce film qu’il a écrit lui-même, le réalisateur privilégie la relation père-fille. Il parle d’amour et de tendresse. Le père éprouve pour sa fille le même sentiment d’attachement que pour sa mère (Elisabeth Moss) à laquelle il repense parfois en de très brefs flashbacks. La situation exceptionnelle (plus de femmes sauf une) lui permet de définir ce que serait une relation idéale entre un père et sa fille. En soi, ça n’est pas différent d’une relation père-fils, c’est fait des mêmes liens de tendresse, d’éducation et de protection au quotidien. Affleck s’attarde sur des moments anodins : choisir un livre dans une bibliothèque abandonnée, se raconter des histoires. Il garde un ton calme et pudique. Il prend son temps et laisse le cours des choses se faire rattraper soudain par le danger. Le danger n’est pas nommé mais on peut deviner à quoi s’expose une fille seule dans un monde livré aux hommes. Chaque mâle rencontré est potentiellement un agresseur ou un ennemi. Le bon père est celui qui met la violence à distance ou qui l’affronte quand elle se présente. Il est un modèle d’homme dans un monde d’hommes.
On nous en dit peu sur l’épidémie, ses ravages et le monde qui en est issu. L’extrême violence qu’on sent omniprésente reste hors champ. Le film est mu par une tension sourde tout en étant rarement spectaculaire. Rag et son père quittent parfois la forêt et les grands espaces pour aller en ville. On n’y voit pas de cadavres ou de traces de massacre. La vie y semble normale bien qu’il n’y ait plus une femme et que Rag doive dissimuler sa nature. C’est la grande force du film : décrire un monde anormal ressemblant fortement au monde actuel. L’hostilité pesant sur les dernières représentantes de l’espèce est à peine différente de celles qu’elles connaissent dans un monde normal. On se souvient des témoignages de peur de femmes qu’on connaît, de récits d’agression. Le film nous ramène au présent.
La conclusion du film est bouleversante et mérite qu’on accepte le rythme parfois lourd. Dans la présence solitaire de Rag, le père revoit sa femme défunte et comprend ce qui est définitivement perdu. En mettant en scène un monde ravagé par la maladie et la violence, hostile aux femmes, on peut dire que Casey Affleck s’est montré clairvoyant. Dernière qualité à souligner: l'esthétique. Le décor est sombre et impénétrable mais d’une grande beauté. Faites de nombreux plans larges de forêt ou de paysages neigeux, les images du film font écho à la nature ambivalente des hommes.