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Cinéclub : J. Edgar (Clint Eastwood)

Avant d’aller voir Le cas Richard Jewell, je me suis intéressé à J. Edgar, le biopic sur Edgar Hoover que je n’avais pas vu à sa sortie en 2012. Le thème du héros américain a été abordé, questionné avec American Sniper et Sully. Eastwood racontait les destinées véridiques d’américains moyens devenus héros. Hoover, fondateur et directeur du FBI pendant presque 50 ans, est lui un personnage clé de l’histoire contemporaine américaine. C’est un homme réputé diabolique, tirant les ficelles, possédant des informations sur tout le monde. James Ellroy par exemple en a fait une figure centrale dans sa trilogie Underworld USA. Peut-on raisonnablement le qualifier de « héros américain » ?

En maître d’œuvre d’un appareil sécuritaire, Hoover était un homme maniaque et doué d’une grande capacité d’organisation. Anticommuniste viscéral, obsédé par les subversions de toute sorte, il ne pouvait qu’être une figure contestable. Oliver Stone, réalisateur emblématique d’un certain cinéma dénonciateur (Nixon, JFK), en aurait fait un être maléfique, placé à la confluence de tous les coups tordus. L’angle utilisé par Eastwood et son scénariste Dustin Lance Black est tout à fait surprenant. Il a choisi de fouiller la psychologie tourmentée du personnage, d’en faire un portrait mi-figue mi-raisin, ni à charge, ni complaisant. Le titre, J. Edgar plutôt que Hoover, en fait une figure familière et intime.

Plutôt que d’explorer les coups tordus de Hoover, Eastwood les effleure, mettant en évidence ses falsifications et son goût du chantage. On regrette qu’il ne dise pas grand-chose du maccarthysme ni des actions contre le mouvement des droits civiques. Il consacre beaucoup de temps à ses rapports avec sa mère (Judi Dench), à son amour pour Clyde Tolson (Armie Hammer). Ce sont les clés psychologiques expliquant le mieux ce personnage qui préfère collectionner les secrets des autres plutôt que d'affronter les siens. Ce qui étonne le plus est l’évocation romantique de son homosexualité. Les deux hommes ont leur table habituelle, leurs dîners en amoureux, leurs sorties. Ils ont des gestes tendres l’un envers l’autre. C’est un beau paradoxe exposé par Eastwood. Cet homme connaissait et espionnait toutes les coucheries compromettantes de son pays mais peu de gens étaient au courant de sa propre vie. Il avait de quoi faire chanter tous les présidents en place mais aucun d’eux n’avait d'armes contre lui. Puisque ses dossiers secrets ont disparu à sa mort, qu’ils étaient remplis de ragots compromettants, son biopic se présente comme une réplique. Vous ne connaitrez pas ses infos sur JFK, sur Nixon, sur Roosevelt mais vous connaitrez le dossier intime de cet homme. Leonardo di Caprio en donne une interprétation très réussie car sans boursouflure. Acteur au jeu maniéré, ayant tendance à sur-jouer chez Scorsese, il est parfait dans ce rôle de fils à maman rigide et névrosé. Il montre une belle complémentarité avec Naomi Watts, jouant sa fidèle secrétaire Miss Gandy.

Peut-on qualifier Hoover de héros américain ? Ce qu’Hoover a construit n’est pas négligeable. Tout le monde, grâce aux séries et au cinéma, connaît le FBI mais qui connaît ses innovations en matière de police scientifique et de renseignement intérieur ? Hoover a trouvé sa vocation dans la lutte contre le terrorisme communiste dans les années 20. L’homme a aussi contribué à l’arrestation de nombreux criminels légendaires comme Dillinger. Eastwood souligne avec délice l’apparition héroïque du G-man, agent du FBI supplantant le criminel dans les films de James Cagney. En bon américain, Hoover maîtrisait bien les techniques de la communication et de la promotion. Mais à partir des années 60, cet individu rigide et puritain devient un dinosaure dont on ne sait comment se débarrasser. Son visage vieilli et celui de son alter ego sont comme les masques boursouflés d’un vieux monde qui s’efface.

La reconstitution est soignée et très élégante. Privilégiant les atmosphères sombres en intérieur, les lumières délavées en extérieur, la photographie s’accorde à la psychologie secrète et désuète du personnage. Le rythme du récit évite la monotonie en alternant les époques et en évoquant la résolution du kidnapping du fils Lindbergh (1932). Le film avance par sauts entre ses années de formation (les années 20-30) et celles de son déclin (les années 60). Clint Eastwood, devenu star pendant les années 60 mais nostalgique du cinéma classique hollywoodien a trouvé dans ce balancement entre deux époques le reflet de ses obsessions contradictoires. On pourra le déplorer mais à travers ses thèmes et ses héros, Eastwood ne cache pas qu’il est à la fois anticommuniste et apolitique, macho et sensible, réactionnaire et libertaire.

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