John Huston
Roubaix, une lumière (Arnaud Desplechin)
Il manque à notre analyse de Roubaix, une lumière une pièce à conviction. Arnaud Desplechin s’est fortement inspiré d’un documentaire paraît-il remarquable de Mosco Boucault : Roubaix, commissariat central. Affaires courantes (2008). Ce dernier décortique la vie d’un commissariat et le traitement d’une affaire crapuleuse : le meurtre d’une vieille dame par deux jeunes femmes. Télérama dit que la démarche de Desplechin tient du remake. Le documentaire n’étant plus visible sur les écrans depuis 2008, impossible de voir comment les deux œuvres dialoguent entre elles.
La première heure de Roubaix est consacrée à la vie quotidienne du commissariat central. Les tranches de vie nous rappellent L627 de Bertrand Tavernier et Les flics ne dorment pas la nuit de Richard Fleischer (1970). Le traitement privilégie l’humain sur la vision répressive et sécuritaire alors que des affaires se succèdent : un incendie de maison, une agression, un viol, la fugue d’une jeune femme. Puis nous passons à l’enquête sur le meurtre de la vieille dame. Le film se consacre avec minutie aux gardes à vue, interrogatoires et reconstitutions aboutissant à la vérité. Dans cette partie-là, on se rapproche du Police de Pialat et de ses longues phases d’interrogatoire. C’est le commissaire Daoud qui cimente les deux parties entre elles. Ce fonctionnaire bienveillant et rigoureux est la figure centrale du film, grâce à l’interprétation intense de Roshdy Zem.
Lumière dans l’obscurité
Les premières images sont celles du reflet des illuminations de Noël sur une voiture. Desplechin multiplie les foyers de lumière dans le décor sombre et post-industriel de Roubaix. Comme le dit Daoud, la ville est dure mais « parfois, ça s’illumine ». Il fallait que le réalisateur, roubaisien d’origine, explore les recoins les plus misérables de sa ville pour en extraire l’humanité vivante. Daoud lui sert de lumière dans l’obscurité. Ce commissaire ne cadre pas du tout avec l’image des flics véhiculée dans les programmes TV et les fictions. Daoud n’est pas que commissaire, il est aussi psychologue, travailleur social, confesseur et un peu anthropologue ! On sourit à certains moments, quand le personnage, débordant de compassion, dresse le profil psychologique de ses deux suspectes depuis l’enfance. On a du mal à croire au dévouement trop humain du personnage et encore moins à son adjoint lisant de la philosophie le soir (Levinas !).
Tout ça sent la fabrication intello et les bonnes intentions politiques: surtout ne pas tomber dans le manichéisme, dans le discours facho très courant aujourd’hui. De Daoud le célibataire taiseux qui a coupé les ponts avec ses proches, Desplechin a fait un personnage à la Bernanos ! Roshdy Zem a tout du prêtre confessant les âmes perdues et ramenant les brebis au troupeau. Il délivre la miséricorde autour de lui. Un flic a-t-il le temps d’être aussi humain ? Un commissaire a-t-il le temps de résoudre une simple affaire de fugue alors que les soucis quotidiens s’accumulent ? C’est la vision d’Arnaud Desplechin, louable mais un peu trop artificielle. Daoud traduit deux intentions nettement visibles chez le réalisateur : livrer un regard humain sur la chose criminelle, incarner l’identité maghrébine de Roubaix dans sa complexité. Le commissaire a choisi sa ville natale plutôt que le bled. C’est grâce à sa connaissance des gens, des familles et de leur passé qu’il résout ses affaires. La volonté de garder le lien avec les gens, de ne pas bunkeriser la police, on y est très sensible par les temps qui courent.
L’humanité des coupables (spoilers)
La seconde partie du film nous semble néanmoins la plus fabriquée et la moins convaincante. Très tôt, Daoud sait que ses deux suspectes, Marie (Sara Forestier) et Claude (Léa Seydoux) sont coupables. Desplechin met en scène les interrogatoires comme des confessions mais étrangement, on sent que tout est joué et que le film ne cherche pas à créer la moindre tension. Son objectif est de montrer l’humanité de ses deux coupables mais il reste en surface des deux personnages de Marie et Claude. Il les réduit à de pauvres cloches toxicos qui ont tué comme par mégarde. Jamais dans ces scènes qui devraient être chargées de honte et de colère, on ne sent quelque chose percer violemment chez ces deux femmes. Quand Daoud leur dit qu’elles vont en prison et qu’elles auront la TV là-bas (!!!), on a l’impression qu’il les libère de la société et leur rend service. Alors que les deux actrices sont impliquées, le regard compatissant et paternaliste de Daoud/Desplechin annihile la force du sujet. Le Mal peut s’incarner dans deux femmes pauvres mais encore faut-il qu’on nous le fasse ressentir. On a un peu de peine pour Sara Forestier et ses mimiques abruties, victime sociale qui n’a pas l’air de comprendre ce qui lui arrive. On rappellera tout de même qu’il s’agit de l’assassinat par strangulation d’une vieille dame, pour voler quelques bricoles…
On ne peut qu’être favorable à une démarche qui exclut tout manichéisme. On regrette simplement qu’une fois de plus le cinéma de Desplechin, malgré son ancrage réaliste, se révèle aussi artificiel. Roubaix, une lumière, n’est convaincant qu’en surface.
Commentaires
Tavernier, Fleischer, Pialat, les références sont bonnes mais le résultat l’est moins visiblement. Comme tu le sais, je n’ai pas vu ce film et ton avis me conforte dans mon idée première : le visionner quand il sera disponible en VOD.
A te lire, j’ai l’impression que Desplechin s’est éloigné de ce qu’il sait faire tout en s’entourant d’acteurs qui ne font pas partie de sa « troupe » habituelle. J’ai une certaine estime pour son travail mais l’essai tenté ici ne paraît pas transformé. Un Desplechin sur le papier mais pas sur l’écran ?
En fait, sa façon de traiter les personnages de Marie (Sara Forestier) et Claude (Léa Seydoux) m'a semblé très superficielle. Je n'ai pas senti la vérité de ces deux femmes paumées. Il les embarque dans des scènes d'interrogatoire très mécaniques. Daoud les décrypte sans qu'elles résistent. Une critique parlait de Daoud comme de l'inspecteur dans Crime et châtiment qui essaie de faire avouer Raskolnikov mais chez Dostoïevski, c'est long, tendu, suffocant. Je suis sévère avec Sara Forestier que j'aime bien parce que son rôle manque d'épaisseur. Léa Seydoux est plutôt bonne mais son rôle et les rapports avec Marie ne sont pas assez fouillés