John Huston
Silvio et les autres (Paolo Sorrentino)
Parmi l'un des films à voir de l'an passé, il y a pourquoi pas le dernier opus du réalisateur d’Il divo et de La grande bellezza. Notons qu’il est sorti en France dans des conditions différentes de l’Italie. Là-bas, il a été programmé en deux films d’1H40 environ alors qu’il a été réduit ici à un unique long métrage de 2H37. On perçoit les effets de ce remontage dans son rythme particulier. La première heure est un étalage tapageur de moments festifs qui fait penser à certains passages du Loup de Wall Street de Scorsese. Puis le film adopte un rythme plus languissant et introspectif. Sorrentino a réalisé une œuvre tout en ruptures de tons, à l’image de sa bande-son éclectique, qui passe du rock 70s de Down in the street des Stooges, au morceau techno Goudron (Yacht) ou au planant It’s happening again d’Agnès Obel. Pour peu que le sujet « Berlusconi » intéresse, on ne s’ennuie pas dans ce film qui saute sans cesse d’un registre à l‘autre : l’allégorique, le satirique, le psychologique.
Règne de la velina
Sorrentino nous fait entrer en berlusconisme par le versant le plus vulgaire et le plus authentique qui soit concernant ce personnage. L’ancien président du conseil italien, que tous appellent dévotement « Lui », apparaît tard dans le film. Le scénario nous raccroche d’abord à Sergio Morra (Riccardo Scamarcio), un organisateur de fêtes à bimbos. Personnage peu intéressant dont l’ambition, exprimée entre deux rails de coke, est d’approcher l’idole et bien sûr de faire fortune (le type souhaite devenir eurodéputé !). Sergio pense qu’une fête orgiaque, sous les yeux du vieux séducteur, attirera son attention. Le propos satirique est assez clair : Berlusconi est un roi du sexe et un érotomane, ayant entraîné derrière lui une frange d’italiens avides d’argent, de fêtes et de filles sexy. L’étalage pornographique de corps superbes et peu farouches renvoie à sa passion intime des belles femmes et aux programmes qui ont fait sa gloire. Berlusconi a inauguré le règne fascinant de la velina, cette jeune femme pulpeuse et court vêtue, qui se trémousse dans les émissions abrutissantes de la TV italienne. Si elle se marie in fine avec un footballeur ou un présentateur TV, la velina aura réussi sa vie. Elle est le symbole évident du vide engendré par le berlusconisme. Mais Sorrentino s’attarde un peu trop sur cette vulgarité tapageuse : est-il besoin d’y passer 50 minutes ?
Alors que le titre français Silvio et les autres nous met platement au parfum, le titre italien est plus riche de significations : Loro (« eux » ou bien « votre » ou « leur »). La première partie du film parle de « loro », d’ « eux », ces italiens vulgaires qui l’ont porté aux nues. Ensuite, c’est de lui dont il s’agit, « leur » ou « votre » Berlusconi, celui sur lequel tout le monde a une opinion. Chacun peut s’approprier et fantasmer « son » Berlusconi, ce que fait Sorrentino. C’est un cinéaste illustratif, rarement subtile mais qui a au moins le mérite de se faire comprendre facilement. Il emploie des métaphores visuelles accessibles à tous. Berlusconi apparaît dans un déguisement oriental de danseuse, c’est un personnage des Mille et une nuits, qui sait envouter les gens. Sergio Morra finit par le rencontrer mais le politicien phagocyte le film, grâce à l’incarnation pleine d’humour de Toni Servilio.
Un vendeur qui veut être aimé
Vous voulez savoir ce que Sorrentino pense du Cavaliere ? Il dit tout, comme s’il était trois heures à table avec vous. L’homme politique est un séducteur et un vendeur hors pair. La scène la plus marquante de Silvio et les autres est cette conversation téléphonique avec une ménagère à qui il tente par jeu de vendre quelque chose. Il veut se prouver sans cesse qu’il peut séduire et se faire aimer des gens. Le film ne cache pas sa corruption, son goût de la manipulation des faits et sa férocité vis-à-vis des courtisans. Mais le regard, bizarrement, est très empathique. Ce type au sourire figé qui vous aimante, chante des chansons et se souvient de la beauté de son épouse, Veronica (Elena Sofia Ricci) quand il l’a rencontrée. Hélas Veronica, qu’il dit chercher dans les jeunes femmes qu’il séduit, est lasse de ses aventures et ne songe qu’à le quitter. Silvio regrette sa jeunesse perdue.
On finit par comprendre et apprécier un peu cet homme. Le tremblement de terre de l’Aquila arrive alors et nous emmène loin de la villa de Sardaigne, de ce domaine des dieux déconnecté du bas monde. C’est une rupture de ton très artificielle, comme s’il fallait soudain mettre la focale sur le peuple, grand oublié du film. Avec l’Aquila, ville médiévale, c’est l’Italie historique et patrimoniale qui se casse la gueule. Mais le propos politique est mince et Sorrentino s’est sans doute laissé un peu trop charmer, lui aussi, par la putasserie et l’esthétique soap opera des années Berlusconi. Il n’a rien à dire d’original sur l’état du pays et le pourrissement de sa vie politique.
Est-il l'un des bons films de Sorrentino ? Sans doute car le cinéaste nous prend assez facilement dans son jeu. Silvio et les autres est une illustration kitsch du berlusconisme, plaisante à regarder et très (trop ?) premier degré. Elle ne manque pas de vignettes accrocheuses et de trouvailles allégoriques. Mais balançant entre enthousiasme (The young pope) et déceptions (Il divo, Youth) passées, on attend encore d’être convaincu par ce cinéaste.
Silvio et les autres est disponible en DVD et Blu-Ray depuis le 6 mars en exclu dans les magasins Fnac, et sera en DVD et Blu-Ray le 7 mai dans les autres boutiques
Editeur : Pathé Distribution (le site et la page Facebook)