Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

M (Yolande Zauberman)

C’est la nuit et l’image granuleuse de la digital video donne le sentiment d’une improvisation. Un homme, Menahem, est filmé en close-up sur une plage déserte. Il livre une confession. Enfant doué chantant dans les synagogues, il a été violé par plusieurs adultes. Il souffre depuis lors et a dû quitter ses parents et sa communauté religieuse. Le documentaire continue à bord d’une voiture. Menahem engage une conversation sur sa sexualité avec un transsexuel. Le filmage en plan serré conjugué aux effets impudiques de la confession oppresse le spectateur. Où Yolande Zauberman veut-elle nous emmener?

Cela fait dix ans que l’ex enfant prodige n’est pas retourné à Bnei Brak. Cette banlieue de Tel Aviv est un des hauts lieux du judaïsme ultra-orthodoxe. Les communautés hassidiques y suivent scrupuleusement les préceptes de la Torah. Y pénétrer la nuit, en caméra discrète, c’est découvrir un monde étrange. De la voiture conduisant Menahem sur les lieux de sa jeunesse, on regarde passer des hommes portant redingote noir (bekeshes), chapeau de fourrure (Shtreimel) et fameuse coiffure en « papillotes » (payos). Les femmes sont rares et on ne voit personne habillé « moderne ». Menahem veut confronter ses violeurs qui habitent toujours là. Il craint des violences de la part de ses ex-coreligionnaires mais de ce lieu décrit comme dépourvu de police (pas de crimes), on ressent surtout la fermeture au monde. M est un documentaire sur une victime et son bourreau, sa propre communauté.

Nuit communautaire

Menahem Lang est une sorte d’agent contaminateur pour les siens. On peut dire « les siens » tant il les connaît, tant il est lié à eux. Il a tout vécu à Bnei Brak, le malheur comme les joies. Son besoin de parler et de dire sa souffrance est à ce point torrentiel qu’il attire à lui d’autres êtres en manque de parole. Alors que le film avait débuté en plan rapproché, le cadre s’élargit. Tout est toujours filmé de nuit et c’est souvent par la voix qu’on les rencontre, émergeant de dos, filmé dans l’obscurité – beaucoup ont peur de se dévoiler. Certains ont été à la fois victimes et bourreaux.

M crée autour de Menahem Lang un effet de loupe saisissant. Ceux qui viennent à lui ont subi les mêmes sévices et ne savent pas comment le dire, comment le vivre. En écho à celles de Grâce à Dieu (Ozon), les victimes libèrent leur parole mais contrairement aux catholiques, cela reste dissimulé dans une sorte de « nuit communautaire ». Célèbre kantor, Menahem avait témoigné de ces violences mais à Bnei Brak les confessions sont clandestines. Le phénomène de la pédophilie est massif, il intervient dans les yeshiva (centres d’études de la Torah et du Talmud) et au sein des familles. On comprend progressivement pourquoi. Les préceptes divins encadrent la sexualité, disent les interdits, prescrivent une séparation stricte entre hommes et femmes dans l’espace public. La sexualité n’existant que dans le cadre rigide d’un mariage procréateur, elle jaillit ailleurs sous une forme perverse, cachée, incontrôlée et touche des jeunes enfants. Certains dialogues révèlent avec humour (oui) ce que cette vie fermée et sectaire peut produire d’absurdité dans le domaine de l’intime. Si Yahvé n’est pas là pour dire où faire plaisir à son conjoint, le fidèle est complètement perdu ! L’absence d’éducation sexuelle conjuguée à l’entre soi religieux favorise la violence pédophile.

Dire la vérité

On ne conduira pas les coupables en prison ou devant un juge. C’est injuste et Menahem en est conscient. Mais sa parole a la vertu d’ébranler l’hypocrisie ambiante. L’enjeu pour lui est double : dire la vérité à sa communauté et retrouver aussi un lien avec ses parents. Même si cela a contribué à son malheur, il reconnaît dans ces liens une forme de solidarité et d’amour indestructibles. Le plus troublant est sans doute de l’entendre dire qu’il a pu ressentir de l’amour de ses propres violeurs. La parole, généreuse, douloureuse, paradoxale, est parfois coupée de séquences festives (célébration religieuse, mariage). Séparés des femmes par une barrière, des hommes de tout âge dansent et se réjouissent ensemble. Il ne s’agit pas pour lui de briser cela mais de le protéger.

Plein de mélancolie et de compassion, M dit ce que peut être une guérison. Comme en témoigne la citation finale de Kafka, en Menahem coexistent l’amour et la haine pour les siens. Il ne peut guérir qu’avec eux puisqu’il leur appartient.

Les commentaires sont fermés.