John Huston
Grâce à Dieu (François Ozon)
Qui a reçu un semblant d’éducation chrétienne y reconnaîtra l’importance de la parole, du verbe. L’évangile selon Jean commence par le célèbre : « Au commencement était le verbe », proclamation de la parole divine comme préalable à la création du monde. Les chrétiens, par définition ceux qui ont reçu en témoignage l’existence de Dieu, sont appelés à annoncer la bonne nouvelle, à transmettre la parole divine. L’église catholique revendique cette mission auprès des hommes. Être chrétien et faire partie de l’Eglise, c’est donc passer une forme de pacte de confiance avec le clergé, recevoir la parole, la laisser guider sa conscience, accepter la confession etc. Quand une association appelée « La parole libérée » poursuit le diocèse de Lyon et un de ses représentants, le père Preynat, coupable de pédophilie, c’est que la parole divine, censée être une parole d’amour a été gravement trahie. Le dernier film de François Ozon, on le sait, repose sur des faits avérés. Le père Preynat, le Cardinal Barbarin ainsi que la psychologue de l’Eglise, Régine Maire, sont nommés, alors que les noms de famille des victimes ont été modifiés.
Prodigue en paroles
Ce qui est en cause dans Grâce à Dieu, c’est l’incapacité de l’église catholique à transformer le témoignage des victimes d’abus, la parole recueillie en toute confiance, en acte de justice. C’est un film très prodigue en dialogues, en conversations, en confessions. Il n’arrête pas de libérer une parole souffrante parce que ceux qui sont victimes n’ont pu le faire en 25-30 ans de vie. Aux témoignages de trois d’entre elles, Alexandre Guérin (Melvil Poupaud), François Debord (Denis Menochet), Emmanuel Thomassin (Swann Arlaud) il superpose ceux des parents et proches, ainsi que d’autres victimes, traitées en personnages secondaires (Eric Caravaca). Les 2H17 sont donc denses, parfois oppressantes mais le film d’Ozon s’avère pourtant d’une fluidité surprenante. Quelques flashbacks sont disséminés ici ou là, décrivant brièvement les faits, souvent advenus lors de camps scouts. Ces très courts passages ont été dénigrés par la critique mais bien que traumatiques, ils créent quelques respirations bienvenues dans le récit.
Si Grâce à Dieu est aussi fluide malgré sa densité, c’est grâce à la qualité d’écriture de son scénario et à ses acteurs ayant accompli un travail remarquable de composition. Il n’y a pas une seule façon d’être victime, chaque parcours témoigne de la pluralité de cette expérience intime. Alexandre Guérin vit son traumatisme doublement, comme enfant souillé puis comme catholique trahi par son église en qui il gardait confiance. Melvil Poupaud en fait un homme sincère, pudique et fidèle à ses convictions. François Debord transforme lui ce traumatisme douloureux en expérience positive d’activisme. C’est lui qui crée l’association. Denis Menochet en souligne le caractère entier, fonceur, un brin fantasque. Swann Arlaud compose sans doute le plus sensible et tourmenté des trois, celui qui ensuite a le moins bien réussi sa vie. Son Emmanuel Thomassin est un écorché, un homme aux contours instables. C’est cette pluralité de compositions qui forme un tout assez subtile, balançant entre gravité et légèreté. Grâce à Dieu fait rire quelques fois. Le cinéma de François Ozon, dont on a pu souligner le caractère provocateur pas toujours fin (Sitcom, L’amant double) ne dédaigne pas le comique (Potiche, Dans la maison). Certains dialogues, portant sur les moyens d’action de l’association ou sur l’anatomie de Thomassin sont franchement drôles. Sans rien relativiser, ils aident à cicatriser quelques-unes des souffrances, à combattre leur trop plein. Un processus de guérison s’est amorcé.
Comment croire en Dieu ?
Ce n’est pas un hasard si le film commence et se termine avec le personnage d’Alexandre Guérin, un membre de la bourgeoise lyonnaise, cinq enfants et très « Famille pour tous ». La parole a certes pu se libérer mais le processus a montré que l’Eglise catholique avait complètement dévoyé la parole de Dieu. A ses demandes de condamnation et de radiation de Preynat, le cardinal Barbarin et sa « psychologue » n’ont opposé que des prières et des appels assez vains au pardon et à la paix intérieure. Face aux témoignages des victimes, tout le film met en porte-à-faux la rhétorique du cardinal et de l’Eglise. Cette institution, tout en étant incapable de comprendre le drame de la pédophilie (Barbarin peine à qualifier Preynat de pédophile), résiste à toute forme de remise en cause. Trahir à ce point certains de ses fidèles, c’est risquer de les perdre en tant que chrétiens. La question de la foi se pose et on ne saura pas si Alexandre Guerin a commencé à la perdre. Le film reste suspendu à ce doute. Comment croire encore en Dieu quand l’un de ses représentants les plus reconnus se félicite que « grâce à dieu » les faits soient prescrits ?
La précision documentaire, l’équilibre que le film arrive à trouver malgré sa prolixité, rappelle l’efficacité d’un Spotlight (2016). En faisant le décompte minutieux des prêtres mis en cause, le film américain dévoilait l’ampleur du phénomène pédophile. C’est en allant chercher les victimes une par une que le film d’Ozon crée une dynamique comparable. Etre à la fois bavard et tendu, grave et plaisant, intime et accessible, c’est une belle réussite.