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En liberté ! (Pierre Salvadori)

On en finit plus de dire du mal des comédies françaises et ceci à juste titre. Poussives, bâclées, mal écrites, pas drôles voire carrément indigentes, de nombreuses horreurs sont produites chaque année et font tout de même le plein de spectateurs. Le genre est à la fois florissant commercialement (Alad’2, Taxi 5, Pattaya) et désastreux d’un point artistique. Ce qu’il y a de moins nul tient de la recette (bons mots, bons comédiens) comme la série La Vérité si je mens ou d’une certaine habileté narrative comme les films de Nakache et Toledano (Le sens de la fête : pas mal).

Comment écrire aujourd’hui une comédie qui échappe aux écueils du genre ? Comment éviter la recette facile, la suite de la suite de la suite, les personnages et situations caricaturales, Dany Boon ou Christian Clavier ? Pierre Salvadori, dont on se rappelle surtout le très sympathique Les apprentis (1995) a dû se poser la question. En liberté et son point d’exclamation s’essaie à une fantaisie libérée des nombreux carcans de la comédie française. Si Salvadori avait voulu produire une comédie à recette bien balisée, il aurait pris Dany Boon pour jouer Antoine et Alexandra Lamy pour jouer Yvonne. Au lieu de cela, il choisit deux acteurs peu identifiables comme comiques, Pio Marmaï et Adèle Haenel. Elle est policière et veuve d’un flic ripou, Santi (Vincent Elbaz), dont elle ne connaissait pas les turpitudes. Lui a été condamné injustement à la suite d’un faux braquage ourdi par Santi. Yvonne culpabilise de ne rien avoir vu et se demande comment aider Antoine à sa sortie de prison. Comme elle ne sait pas quoi faire pour sauver l’irrécupérable Antoine et qu’elle n’arrive pas à grand-chose, le film est à son image : un numéro d’équilibriste qui se casse tout le temps la figure.

Tour à tour victime et bourreau

Salvadori essaie et parfois se plante. Il démarre puis cale. Les quarante premières minutes montrent de nombreux à-coups dans la mécanique comique car il faut justement éviter la mécanique. D’abord se débarrasser de ce Santi, personnage bourrin à la Bébel puis ne pas se transformer en Francis Veber, ne pas faire de cet Antoine un énième François Pignon dont on va rire facilement. Ne pas faire de la victime un simple abruti mais quelqu’un de plus retors : pourquoi pas un bourreau ? Ceux à qui on a menti, qui se sont fait avoir par la vie, Yvonne et Antoine donc, pourquoi ne pas leur laisser la fantaisie de faire mal, de donner leurs propres baffes. Au sens propre, le réalisateur dispose de nombreux masques et les laisse à portée de ses personnages. Le thème du sadomasochisme apporte son folklore et la possibilité de blagues faciles. Il symbolise surtout la liberté d’être tour à tour victime et bourreau. Pourquoi ne pas accorder à ses personnages une forme de liberté en évitant de les mettre définitivement dans des cases ? Le traitement est le même pour Santi. C’est un ripou certes mais Yvonne transforme son histoire chaque fois qu’elle la raconte à leurs fils. Le comique se renouvelle à chaque version et le spectateur est pour Salvadori comme cet enfant à qui on raconte de nouvelles blagues.

Des mèches qui n’explosent pas tout le temps

Ce style tout en zigzags, en sorties de routes, ne fonctionne pas à chaque coup. En liberté ! allume des mèches qui n’explosent pas tout le temps et le film a tendance à surchauffer pour ne pas s’épuiser. On rit souvent des situations, de certains dialogues mais paradoxalement En liberté ! excelle surtout dans ses passages poétiques, comme ces retrouvailles entre Antoine et Agnès (Audrey Tautou). Il se distingue aussi par le ton dépressif des personnages. Alors qu’elle pourrait être un policière intrépide, rattrapant par son honnêteté la filouterie de son défunt mari, Yvonne déserte son job pour suivre Antoine. Elle se plaint souvent et semble constamment à côtés de ses pompes. Antoine est comme beaucoup de personnages de Salvadori – je pense à Guillaume Depardieu dans Les apprentis – un raté devenu incontrôlable, un type qui était autrefois bon mais que la vie a transformé en catastrophe ambulante. Les personnages transportent une certaine dose de tristesse avec eux.

On ne décrira pas en détails la séquence « feu d’artifice final » qui clôt le film. En se servant d’une caméra de vidéo-surveillance, elle utilise une image « en direct », qui tient du vidéo-gag et des vidéos volées omniprésentes sur Internet. D’une image concurrente du cinéma, il fait un objet de comique cinématographique. Salvadori démontre qu’on peut pousser la liberté de rire jusqu’à l’absurde, faire des références osées et grotesques aux images d’actualité récente. Il nous dit que le cinéma a encore cette puissance là pour peu qu’il fasse preuve d’audace. C’est la force du film : tenter des choses quand on ne s’y attend pas. Au regard du niveau de la comédie française actuelle, En liberté ! est plutôt appréciable. Etant donné son rythme irrégulier et ses facilités, on laissera passer du temps pour conclure au film mémorable.

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