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First man (Damien Chazelle)

Le cinéma de Damien Chazelle, cela se confirme film après film, est animé de sentiments amers. Pas de réussite sans souffrance, pas d’atteinte du but qu’on se donne sans sacrifice du bonheur. Qu’est-ce que Whiplash sinon l’apprentissage artistique vécu comme une compétition virile cruelle ? Qu’est-ce que le survendu La La Land (titre trompeur) si ce n’est le constat que l’amour à Hollywood ne résiste pas aux choix de carrière ? First man qui décrit l’épopée héroïque du premier homme sur la Lune, est d’une tristesse inattendue. Situé dans les années 60, le film raconte comment Neil Armstrong (Ryan Gosling) prépare la conquête spatiale tout en vivant le deuil de sa fille Karen. Alors que le film devait être un hymne positif à la volonté et au dépassement, il jette un voile gris sur une aventure humaine qui n’en demeure pas moins admirable.

A rebours des années 60

Des choix formels affirmés ont engendré une œuvre à rebours de l’esthétique colorée et énergique des années 60. Pour la bande son, la facilité eut été de recycler la musique pop et rock de l’époque mais les morceaux choisis sont de tonalité nostalgique (écoutez sur youtube Pledging my love de Johnny Ace ou Lunar Rhapsody de Dr. Samuel J. Hoffman). La bande originale de Justin Hurwitz, saisissante de beauté grâce à la harpe et au thérémine, se marie avec une photographie granuleuse aux teintes crépusculaires. Mariant les scènes intimes et les épisodes du programme Gemini / Apollo, First man est une épopée mélancolique dominée par l’interprétation très intérieure de Ryan Gosling. Il est dit dans certaines critiques que cette alternance de moments familiaux et d’épopée produit un film très mécanique. Mais cette alternance paraît en trompe-l’œil, il ne faut pas dissocier ici l’intime de l’aventure. Quand Armstrong est enfermé dans une capsule spatiale, que le couvercle se referme sur lui, on ne peut s’empêcher d’y voir un tombeau. Chaque fois qu’un essai d’envol est filmé, Chazelle privilégie l’intérieur de la capsule, nous enfermant avec et dans son héros.

Aventure intérieure

First man est l’aventure intérieure d’un homme dévasté qui a de fortes chances d’y rester. Si Armstrong semble s’être lancé dans le programme pour faire le deuil de sa fille, il sera sans cesse rattrapé par la mort. En effet, Apollo aura dû sacrifier bon nombre de cosmonautes pour réussir. Une aventure qui permettait a priori de surmonter la perte d’un être cher se transforme en épreuve. Janet Armstrong (Claire Foy) le déplore en disant qu’elle pensait trouver la stabilité en suivant son mari en Floride mais que c’est tout le contraire. Bien que cantonné au rôle traditionnel de gardienne du foyer, l’épouse d’Armstrong est décrite comme un personnage fort, obligeant son mari à ne pas fuir la vérité devant ses deux fils (très belle scène d’au revoir).

Deuil d’une utopie

La conquête spatiale contenait une grande part d’incertitude et de bricolage qui ont coûté la vie à certains de ses protagonistes. Il y a beaucoup de plans sur la machinerie spatiale, sa mécanique potentiellement défectueuse et le tremblement de la caméra restitue parfaitement la fragilité de cette aventure. Rien n’aura été sûr avant que le premier pas sur la lune ait eu lieu. A la manière de ce dessin tracé sur deux tableaux reliant la terre à la lune, le film nous raconte par des moyens très simples une aventure très complexe, née des rivalités de la Guerre Froide et véritable défi technologique. A la fin du film, on se demande d’ailleurs s’il y a eu d’autres hommes sur la Lune à la suite de Neil Armstrong et d’Aldrin. Vérification : non ! Le rêve spatial programmé par JFK et concrétisé en 1969 n’a pas eu de suite. Le film semble faire aussi le deuil d’une utopie américaine. La dernière frontière, celle de l’espace a été franchie mais cela n’a rien donné. Les années 60 vont prendre fin et Gil Scott-Heron déplore la misère et la ségrégation dans sa chanson Whitey on the moon (« l’homme blanc sur la lune »). Apollo est sans doute la dernière aventure virile positive produite par les Etats-Unis mais c’est le projet d’un président assassiné. Le rêve est déjà enterré quand il se réalise.

Ce film aurait pu s’appeler Gravity comme l’autre mais il est beaucoup plus subtil et sensible. Sandra Bullock avait fui dans l’espace la perte de sa fille (décidément !) mais le film se donnait pour but de lui apprendre la résilience et de la ramener sur terre, vers sa vraie nature de femme ! Même s’il contient du mélo, First man a une dimension métaphysique supérieure au film d’Alfonso Cuaron - par ailleurs œuvre de fortes sensations et rare réussite en 3D. Si le décollage vers la lune se regarde comme une libération, magnifié par ce plan large de fusée, l’atterrissage très spectaculaire se conclut sur la vision d’un champ de cailloux grisâtre. Il n’y a rien du tout sur ce satellite de la terre. Là-haut Armstrong se retrouve face au vide, au néant. Le reflet sur son scaphandre semble dessiner un sourire mais il n’en est rien. Comme son héros, le film se réfrène et se refuse à toute libération émotionnelle mais il est d’une rare profondeur. Après un La La Land quelque peu décevant, First Man est un très beau travail !

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