John Huston
Quelques chroniques de l’été 2018
Quand la paresse estivale concentre trois critiques de films en un article… ce n’est pas la température de l’océan atlantique qui a refroidi mon enthousiasme de spectateur, juste le niveau des films vus : de bons moments de cinéma mais pas grandioses. L’énergie manque pour pondre un article par film, la rentrée est dure !
Under the silver lake de David Robert Mitchell
Je ne connaissais pas ce réalisateur, n’ayant pas vu It follows, son précédent film, qui a l’air diablement sympathique. Au bout d’une demi-heure d’Under the silver lake, le mot qui me vient à l’esprit est « profusion ». Cette quête d’une blonde disparue (Riley Keough) par un jeune branleur (Andrew Garfield) sur les collines d’Hollywood, est pleine à ras-bord de savants mouvements de caméra, de scènes excentriques et de références cinématographiques. Celles que j’ai vues mais il y en a sans doute d’autres : Body double (De Palma) pour ses multiples filatures voyeuses, Le grand sommeil (Hawks) pour son intrigue de détective embrouillée, un peu The long goodbye (Altman) pour l’ambiance déphasée très 70s, David Lynch pour ses excès de bizarrerie mais sans le côté cauchemardesque d’Inland Empire ou de Mulholland drive. Il y a aussi des références musicales comme Nirvana ou REM – je ne me souvenais plus de l’album Monster ! – et puis des comics. Ajoutons qu’un serial-killer de chiens sévit dans le quartier, une star de TV a disparu et une femme-hibou inspire un fanzine terrifiant à un dessinateur paranoïaque. Ça part dans tous les sens et pas toujours bien !
On se croirait devant un premier film dans lequel un (jeune) réalisateur a voulu mettre tout ce qu’il aime. L’abondance de détails et de pistes inégales sentent la fuite en avant. L’amalgame n’est donc qu’à moitié réussi et il faut beaucoup croire à la magie du cinéma pour ne pas hausser les épaules devant cette intrigue qui progresse par rebonds farfelus. J’avoue avoir été sensible au jeu de pistes, à cette façon de réaliser un film comme une chasse au trésor déjantée, dont la carte est un cadeau dans un paquet de céréales. La Côte Ouest est le centre de la culture pop mondiale (cinéma, musique, comics, publicité, télé-réalité) mais aussi le siège de toute sorte de mouvements sectaires, new age, complotistes et paranoïaques. Under the silver lake en est le cocktail détonnant, amusant, vulgaire, ridicule. La bonne idée du film est de nous faire chercher avec le héros dans cette marée de signes et de messages culturels des sens cachés, comme si un groupe restreint d’hommes riches se communiquaient des choses secrètes ; mais les bonnes idées ne suffisent pas et l’excentricité paraît souvent gratuite et surfaite. On a compris qu’à Hollywood les fêtes sont sophistiquées et de mauvais goût mais le réalisateur n’en tire pas grand-chose de drôle ou de malsain. De surcroît, les personnages sont un peu trop benêts pour qu’on les prenne au sérieux. Conclusion : il faut avoir l’âme ludique et patiente pour apprécier ce film sinon il se résumera à un fatras branché.
Mission Impossible : Fallout de Christopher McQuarrie
A quoi bon voir un film d’action, le sixième d’une série et en plus avec Tom Cruise ? Parce qu’on y trouve ce qu’on cherche en allant voir un film d’action : des sensations. L’enjeu est celui-ci : l’agent Ethan Hunt de l’agence Mission Impossible empêchera-t-il une mystérieuse conjuration d’espions de détourner trois têtes thermonucléaires ? A votre avis ? Le principal n’est pas dans cette intrigue basée sur un contre-la-montre totalement maîtrisé. Mission Impossible : Fallout est un film innovant dans son utilisation vertigineuse du cadre, des perspectives, des décors.
Partant des souterrains berlinois striés de lumières horizontales, le héros défini par Tom Cruise s’élève et casse les murs qui l’enferment. Le décor est la métaphore des limites qui entravent l’agent secret, dont la mission est de démasquer un ennemi qu’il ne connaît pas, aidé par des alliés qui n’en sont peut-être pas. A Paris, le jeu est d’échapper à de multiples bad guys en utilisant les avenues, qui offrent d’immenses perspectives de fuite tout en enfermant la course. A Londres, il faut dominer les hauteurs architecturales pour rejoindre l’ennemi. On s’élève encore dans la dernière partie du film. Le héros est ce surhomme qui ne craint pas l’altitude. Mission Impossible : Fallout est un film ascensionnel qui ne mégotte pas sur le plaisir du spectateur. Il est dommage qu’il soit (un peu) gâché par une courte séquence de fin dans laquelle Ethan Hunt est chanté par ses compagnons et proches comme un héros grec. On espère que Tom Cruise ne l’a pas pris pour lui…
The Guilty de Gustav Möller
Ce premier film du danois Gustav Möller est un efficace divertissement d’autant qu’il se déroule intégralement dans le décor confiné d’un plateau téléphonique. Son procédé est son argument principal : il crée le suspense à partir d’un simple poste de Police Secours, ce qui n’est pas négligeable.
L’agent Asger Holm (Jakob Cedergren) reçoit des appels de gens accidentés ou agressés dans Copenhague. C’est une routine pour ce flic rétrogradé à ce poste jusqu’à ce qu’un appel plus inquiétant le pousse à agir, de son poste, à multiplier les appels pour sauver une personne en détresse. Les sons du combiné, l’alternance de couleurs sombres et rouges, la progressive décomposition du personnage créent une tension qui ne faiblit pas. On ne sort jamais du plateau téléphonique, on ne voit pas ce qui se passe sur le terrain, c’est captivant. Le procédé fonctionne parfaitement.
Modérons toutefois l’enthousiasme. Le film repose sur des ressorts psychologiques bien usés. Asger Holm est un homme brisé qui opère autant son sauvetage que celui des victimes à distance. Il montre la panoplie habituelle de l’homme mûr en crise. On sort du film avec le sentiment d’avoir un film original dans la forme mais classique dans le fond.