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Ma vidéothèque idéale : La Party (Blake Edwards)

C’est en revoyant récemment La Party pour la troisième (quatrième ?) fois que je me rends compte que je connais mal la filmographie de Blake Edwards. Diamants sur canapé avec Audrey Hepburn (bien) et puis Victor Victoria et Opération jupons (bof bof dans mes souvenirs). Il y a cette série des Panthères roses, Boire et déboires, S.O.B, Elle, Le jour du vin et des roses… tant de films que je ne connais pas et qui donnent envie de mieux connaître ce spécialiste de la comédie hollywoodienne. De cette riche filmographie, La Party (1968) est cet incroyable objet comique qui me revient quand il faut citer une comédie, une vraie, qui fait rire.

L’histoire est connue des cinéphiles. Hrundi V. Bakshi (Peter Sellers) est un comédien indien engagé sur le tournage d’un remake de Gunga Din. Il multiplie les maladresses au point de torpiller la production du film. Le producteur C.S. Divot (Gavin McLeod) contacte le patron des studios, M. Clutterbuck, afin que Bakshi soit radié d’Hollywood. Clutterbuck inscrit sans faire exprès le nom de l’acteur sur une liste d’invités à une réception qu’il donne chez lui. A l’image de ce que Bakshi a causé sur le tournage, il entraînera la fête dans une suite de catastrophes hilarantes.

Les précédentes visions m’avaient laissé l’impression d’un film proche d’1H50, très dense en gags. Il ne fait qu’une 1H36 et c’est sa façon de créer des gags comme s’il allumait de longues mèches d’explosifs qui donne l’impression d’une grande densité. La fête est exactement à l’image du prologue : en crescendo. Elle commence par les prises ratées du comédien (premiers rires) et elle termine par une explosion, au sens propre comme au sens figuré (déflagration comique).

Il ne connaît pas les codes

La structure du film est annoncée clairement : le comédien veut trop bien faire, sur-joue et tombe dans le n’importe quoi (la scène du clairon), il n’est pas raccord avec le film à costumes (la scène de la montre), il finit par tout faire exploser. C’est exactement ce qui va arriver chez les Clutterbuck et provoquer l’hilarité grandissante du spectateur. Bakshi est maladroit socialement avec les invités dont il ne connaît pas les codes, il est maladroit physiquement et cela va avoir des conséquences. Sauf qu’ici le rire n’est pas dénué de sens. Bakshi est indien d’Inde, étranger à Hollywood. Il ne connaît pas les codes de ce milieu mais personne ne semble disposé à l’aider sauf une charmante starlette française (Claudine Longet). S’il y a tant de catastrophes dans la durée si courte d’une party et dans l’espace restreint d’une villa, c’est parce que personne ne s’intéresse à Bakshi, ne fait l’effort de lui parler et que cet homme gauche, voulant bien faire mais ne connaissant pas les usages, finit par tout faire dérailler. Une personne seule à une fête a souvent le besoin de manipuler quelque chose, comme un verre pour se donner une contenance. Or ce personnage ne boit pas d’alcool (il est hindou), il va donc toucher à autre chose, notamment les multiples commandes de cette maison moderne.

Le comique est une mèche longue

Le film n’est pas sur-découpé, loin de là, et prend le temps de déployer chaque séquence dans le temps, afin de tirer le maximum de rire du spectateur. Le dîner constitue un bon exemple de sa mécanique comique. Il crée une illusion de pause après les premiers détraquements provoqués par Bakshi qui s’assoit et commence à manger après qu’on lui eut trouvé une place et une chaise. C’est le serveur Levinson (Steve Franken) qui a passé son temps à vider les verres qui ivre prend le relais et fait tout dérailler. Blake Edwards le laisse faire le tour de la table plusieurs fois pour servir et chaque fois son service provoque des incidents et se termine de la même façon : il est étranglé par son chef dans l’arrière-plan de la cuisine, derrière la porte battante. La séquence prend son temps, jouant au maximum sur les interactions physiques entre les comédiens et les plats. Le spectateur s’impatiente et anticipe le plaisir du gag qui va venir. Le comique va jaillir de l’interaction entre Levinson et Bakshi. Le serveur Levinson est un élément clé de la comédie, il permet à Sellers de se reposer avant de relancer les facéties. Le comique est une mèche longue qui met du temps à faire son effet.

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Notons aussi que La Party est un film très mouillé. L’eau est omniprésente : la villa possède une piscine intérieur et ses jardins sont arrosés automatiquement. Elle est la source de beaucoup d’incidents comiques. Le comique est tel l’eau qui inonde tout : il coule longuement et il est incontrôlable ! Mais la villa est un endroit pourvu de cloisons, de trappes, de niveaux qui permet de ralentir cette eau et ce flux de gags pour les faire grossir encore. Edwards se sert tout autant de la durée des séquences que de son décor. L’abondance de murs, de colonnes, de séparations spatiales participe au découpage du film, à l’installation de pauses et de moments de fuite pour Bakshi. Après une très grosse bêtise, il peut s’éclipser et se retrouver à l’autre bout du jardin. La villa le lui permet !

Se moquer d’un étranger ?

Il pourrait y avoir confusion sur la nature du personnage de Bakshi. On peut penser que le film se moque de façon facile et raciste d’un étranger. On n’oserait plus aujourd’hui colorer le visage d’un acteur, aussi drôle que soit l’anglais Peter Sellers. Son incroyable puissance comique confère une grande maladresse à Bakshi mais il n’en fait pas un idiot pour autant. Ce qui choque en regardant bien les invités est ce mépris qu’ils ont pour l’intrus. Bakshi est pétrifié par les regards lancés par Mrs Dunphy (Marge Champion), femme d’un congressman donc honorable personne. Les invités tolèrent l’indien peut-être parce qu’en tant que gens proches du milieu du cinéma, ils sont censés avoir l’esprit ouvert mais l’acteur subit indéniablement le regard raciste. Le film date de 1968 et s’inscrit donc dans le contexte très timide d’ouverture raciale du cinéma américain. C’est en 1967 que Sidney Poitier, premier acteur noir « acceptable », connaît le succès avec Dans la chaleur de la nuit (Jewison) et Devine qui vient dîner (Kramer). Blake Edwards et ses scénaristes connaissaient très bien ce contexte racial.

Bakshi n’est pas un idiot, plutôt un original non dénué de cool pour l’époque – joueur de sitar, conducteur d’une voiture de sport à trois roues, pas maladroit dans la séduction, très Beatles dans l’esprit. Lui qui revendique son indianité s’amuse à jouer au peau rouge avec le cowboy d’opérette qu’est Wyoming Bill Kelso, renvoyant le western à ses pauvres clichés sur les indiens d’Amérique. Plus tard, dans un accès de franchise, il avouera détester les américains, ce qui est gonflé dans une production hollywoodienne ! Si Bakshi n’est pas épargné par sa propre maladresse, il permet un regard très acerbe sur ce milieu des studios bien médiocre et superficiel. La plupart des invités sont des ringards ou des ratés.

La Party est une explosion joyeuse, de mousse, de rires mais aussi de liberté. L’indien repart avec la belle étrangère, les danseurs russes et les jeunes déboulent dans la fête amenant encore plus de chaos dans le vieux monde installé d’Hollywood. Les domestiques dansent et le serveur, guère plus important que le « métèque » finit avec la starlette complètement ivre. Sous des dehors comiques et légers, le film administre quelques gifles bien sentis.

Rendez-vous dans un an ou deux pour un nouveau visionnage de ce chef-d’œuvre comique!

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