John Huston
Ready player one (Spielberg)
Le Steven Spielberg qui pontifie sur les grandeurs de la démocratie américaine n’est pas trop ma tasse de thé. Ses américains optimistes et fiers de leur « grand » pays m’ennuient. Je baille à chaque fois que j’aperçois les bajoues satisfaites du bon Tom Hanks. Le Pont des espions ou Pentagon papers sont plaisants à voir, bien réalisés mais lisses, consensuels. Ce sont des films qui ne se débattent pas : à part les extrémistes, tout le monde est pour la démocratie, la liberté, l’accès à l’information… et quand on sait que l’Amérique est naturellement bonne, généreuse, il n’y a pas lieu de s’inquiéter.
Il y a deux Spielberg qui m’intéressent particulièrement : celui des fables sombres comme Minority Report, La guerre des mondes ou A.I. Artificial Intelligence (qui aurait pu être un chef-d’œuvre si sa fin n’était si larmoyante !), celui des films d’aventures virevoltants comme Les aventures de Tintin, les premiers Indiana Jones ou ce Ready player one. Il y en a un adulte, inquiet de l’avenir et du monde qu’on nous prépare, un autre qui nous entraîne dans ses rêves épiques de petit garçon. Dans ces deux registres, le robinet à guimauve est fermé et le réalisateur s’acquitte avec brio des séquences d’action.
Conte futuriste, pur film d’aventures
Ready Player one est une synthèse entre le conte futuriste et le pur film d’aventures juvénile. Il synthétise ce qu’il y a de mieux chez l’Américain, une sorte d’esprit BD touffu et spectaculaire, nostalgique de l’enfance et rêvant à un monde meilleur. C’est sans doute le genre de réussite après laquelle court un Luc Besson… Le héros, Wade (Tye Sheridan) est un adolescent sans parents, vivant en 2045 dans un monde toxique et paupérisé. Comme beaucoup d’humains désœuvrés, il enfile un casque de réalité virtuelle pour rejoindre l’OASIS, un monde virtuel créé par le magnat défunt James Halliday (Mark Rylance). Dans celui-ci, sous l’avatar Parzival, il recherche trois clés qu’Halliday a laissées à sa mort. Elles le mèneront à l’œuf de Pâques (Easter egg), récompense qui fera de lui le propriétaire de cet univers parallèle. Mais il faudra échapper à la convoitise de Nolan Sorrento (Ben Mendelsohn), dont la corporation IOI aimerait s’approprier l’OASIS.
Fluidité du réel au virtuel
Ce film séquencé comme une quête est un Indiana Jones transposé aux mondes virtuels. Sa structure narrative est linéaire, guidée par un but précis à atteindre, mais menée tambour battant. Il y des séquences d’action fulgurantes, mises en scène avec toute l’efficacité propre à Spielberg, découpage carré et musique tonitruante. Le film passe avec fluidité du réel au virtuel tout en gardant une ligne claire. Contrairement à beaucoup de films d’action contemporains, il n’est pas sur-découpé et noyé dans un déluge de pixels. Sa fracassante poursuite en voitures, multipliant les obstacles (King Kong, T.Rex), est un modèle de spectaculaire classique malgré son enrobage numérique. Spielberg est un faiseur de grand spectacle, encore à 72 ans et sans aucun complexe.
Ready player one est l’adaptation d’un roman d’Ernest Cline mais on croirait cette histoire écrite pour un grand enfant cinéphile comme le réalisateur d’ET. C’est la célébration de tout ce qu’un adolescent préférant rester dans sa chambre a pu ingurgiter depuis 40 ans, devant sa télévision, son ordinateur ou des écouteurs sur les oreilles. Au récit classique et rythmé d’une chasse au trésor s’ajoute la célébration d’un imaginaire nourri de musique, de vidéo clips, de films cultes et de jeux vidéo. Quand Godzilla rencontre les Power rangers qui rencontrent Shining qui rencontre Michael Jackson qui rencontre Alien qui rencontre Les aventures de Buckaroo Banzaï qui rencontre les jeux Amstrad qui rencontrent la filmographie de Steven Spielberg et ainsi de suite ! On regrettera néanmoins le peu de risque et d’originalité des citations musicales : Jump de Van Halen, Stayin alive des Bee gees, Take on me de A-Ha parmi d’autres.
Le film regorge de citations et d’allusions à la pop culture, dont beaucoup peuvent paraître obscurs – je ne connais rien aux jeux vidéo par exemple. Il faut sans doute avoir été enfant dans les années 80 pour profiter pleinement de ce film qui fait le grand écart sans honte: un pied dans un monde futuriste angoissant, l'autre dans un monde ludique infiniment divertissant. Le virtuel est certes une menace mais c'est aussi au sens propre une oasis de contenus, une source infinie de possibles !
Morale étrange
Ce film prend le contrepied joyeux de dystopies récentes comme Matrix des frères Wachowski ou Blade runner. La morale en est d’ailleurs assez étrange, certains ont pu dire hypocrite. On voit de pauvres gens tromper leur ennui dans l’Oasis et se ruiner. Ce monde est un immense plateau de jeu virtuel où chacun cherche la fortune. En même temps, Spielberg oblige, le regard est désarmant de bienveillance. Certes il y a la prédation des multinationales, la misère, le flicage virtuel mais ce monde imaginé par un vieil enfant solitaire est d’abord un lieu de divertissement et d'opportunités. Ni Wade ni sa copine Samantha (Olivia Cooke) n’ont envie de le détruire, ce sont des gamers aspirant à former une communauté (un clan). Dans l’Oasis, ils peuvent être tout ce qu’ils veulent, c’est ce qu’il faut retenir. Un petit garçon japonais de 11 ans peut devenir un samouraï intrépide et s’en faire une immense joie.
Quand par la parole d’Halliday il nous est dit en toute fin que le virtuel est un refuge pour des gens mal dans leur peau mais que ce qui compte in fine, c’est le réel, on a du mal à y croire. Ready player one, malgré cette morale de rattrapage est une célébration du virtuel, de l’imaginaire et des voies fictionnelles que propose le jeu vidéo. On peut trouver ça bien naïf mais c’est dit avec un tel amour du cinéma bien fait, qu’on en sort de très bonne humeur.