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12 jours (Depardon)

Le nouveau documentaire de Raymond Depardon fait partie de ses œuvres douloureuses à regarder. La réalité sociale qu’il nous montre, désespérante au premier abord, est peu connue du grand public. La loi française impose à des personnes internées en hôpital psychiatrique sans leur consentement que leur situation soit examinée par un juge au bout d’un délai légal de 12 jours. Après avis des médecins, il dépend donc d’un magistrat qu’une personne internée puisse retrouver la liberté, à condition qu’elle soit inoffensive pour la société.

La majeure partie du film est constituée d’audiences. On retrouve le mécanisme de mise en scène de confrontations, le même que dans 10ème chambre, instants d’audience, où des individus passaient en comparution immédiate devant un juge. De simples champs-contrechamps captaient une relation asymétrique entre des individus et l’institution judiciaire. Les décisions prises avaient de graves conséquences sur des gens complètement démunis. Ce qui se passait à l’écran témoignait de l’impuissance du simple citoyen, délinquant ou non, à se défendre face à une institution toute-puissante. La voix du juge, portant un langage difficile à comprendre, intimidait les justiciables. 12 jours reprend ce procédé de mise en scène d’un rapport de force mais produit un sentiment différent.

Le pouvoir des médecins

Le juge et le justiciable sont cadrés à la même hauteur, produisant une situation de relative égalité. Le justiciable bénéficie d’un défenseur, un avocat assis à côté de lui. On a donc deux personnes contre une. Mais on comprend que les magistrats, répétant à l’envie qu’ils ne sont pas médecins, ne font que se prononcer sur des dossiers dont l’instruction leur échappe. Alors ces fonctionnaires scrupuleux, se dit-on, ne servent pas à grand-chose puisqu’ils suivent l’avis des experts médicaux. Les internés le comprennent très bien et pour certains n’hésitent pas à le dire. La parole est plus libre mais elle ne produit pas d’effets sur le rapport de force entre individus et institution. Le spectateur suit une dizaine d’audiences et s’interroge sur ce simulacre. A quoi bon ces procédés si ils ne servent à rien ? D’une confrontation plus « égalitaire » en apparence, on tire des conclusions désespérantes. L’individu, jugé malade mental, n’a aucun pouvoir. Il est à la merci d’un pouvoir invisible, celui des médecins, personnages clés du film qu’on invoque constamment mais qu’on ne voit jamais.

Depardon ne se prononce pas sur les décisions des juges. Il laisse le spectateur juger sur pièce. Il nous laisse scruter les visages, les échanges tortueux, les vérités des patients. Oui il y a des individus délirants, psychotiques, dont la liberté fait courir un danger aux autres. Certains de ces patients sont des meurtriers. Mais il y a des situations déchirantes qui mériteraient plus d’humanité. Tous ne sont pas fous mais tous apparaissent comme des gens brisés par l’existence. Leurs maux disent quelque chose de la société française. Abandon social ou familial, addictions, maltraitances, harcèlement au travail, viol... Face à l’expression d’une terrible souffrance, l’institution n’a que l’enfermement médicalisé à proposer. Je pense à cette femme qui décrit son existence comme une vie de souffrances et qui souhaite en finir. Il n’y a à aucun moment des paroles pour tenter de lui témoigner un peu de compassion. Il est paradoxal de voir que certaines de ces personnes, déjà frappées dans leur vie, le sont encore plus en étant enfermés. Le magistrat, garant de la justice, entérine l’injustice.

Chambre d’apaisement

Après une citation de Foucault sur la folie, le film commence par de lents mouvements de caméra dans les couloirs vides d’hôpitaux psychiatriques. Les quelques séquences en extérieur montrent un environnement séparé de la société par des grillages. Ce que nous voyons s’apparente à la prison et nous renvoie à la théorie foucaldienne d’une société qui enferme tous ceux qui la gêne. Fous, délirants, originaux, marginaux ou personnes ne supportant plus le sort qui leur est fait sont isolés des autres. Je retiens pour finir le plan fixe sur ce drôle d’écriteau sur une porte indiquant « chambre d’apaisement ». Les portes et les murs étouffent les cris des patients confinés dans leurs chambres. Il n’est question que de cela finalement : dissimuler et apaiser cette folie qui menace de déborder.

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