Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Le jeune Karl Marx (Raoul Peck)

Le jeune Karl Marx de Raoul Peck, j’aurais aimé le porter aux nues. Parce que son film précédent, I am not your negro est un documentaire stimulant sur la question raciale aux Etats-Unis. Parce que l’Ecole du pouvoir, téléfilm sur l’ENA, est remarquable.

Un film intéressant…

Quand un film a du fond mais pas une forme très enthousiasmante, on dit qu’il est intéressant. Or le jeune Karl Marx est très intéressant. L’expérience historique du marxisme ayant à ce point marqué le 20ème siècle, on en oublie les circonstances de sa naissance. L’Europe de 1843 voit se développer les grandes industries (filatures, manufactures, mines…), lieux d’émergence du prolétariat ouvrier, tandis qu’une majorité du monde paysan vit dans la misère. Marx (August Diehl), jeune philosophe allemand marqué par l’hégélianisme, apparaît sur la scène intellectuelle en même temps que se constituent les doctrines socialistes, celle de Proudhon (Olivier Gourmet) surtout. La rencontre de Friedrich Engels (Stefan Konarske) va encourager Marx à enrichir son matérialisme critique des travaux économiques de Ricardo ou Adam Smith. Marx va rompre avec les abstractions philosophiques et les idées généreuses pour donner une analyse concrète, matérialiste et dialectique du monde social. Raoul Peck met en scène un cercle restreint d’intellectuels contestataires, issus du monde bourgeois, constamment pourchassés qui, par leurs conflits, vont faire naître et connaître la doctrine communiste. On parle donc de la genèse d’une philosophie révolutionnaire, encore fondamentale dans notre vie sociale et intellectuelle. Le sujet n’avait, il me semble, pas été traité par le cinéma.

August Diehl et Stefan Konarske sont de bons acteurs, donnant à leurs personnages enthousiasme juvénile, insolence et courage. Ils figurent des intellectuels que tout honnête homme aimerait suivre, non des personnages fats et installés, mais des chercheurs insatisfaits, des contradicteurs inlassables. Raoul Peck sait les rendre attachant. Il met aussi en lumière l’influence de leurs compagnes, Jenny von Westphalen (Vicky Krieps) et Mary Burns (Hannah Steele). Ces femmes courageuses, qui ont su rompre avec leurs héritages de classe, ont contribué intellectuellement à leurs recherches. Il utilise donc ces éléments biographiques comme de réels apports au récit de la genèse de l'idée communiste.

Pas beaucoup d’ouvriers, de conflits sociaux

Toutefois, Le jeune Karl Marx reste dans la forme un luxueux téléfilm à costumes, réalisé en studio, qui manque de souffle. Le philosophe matérialiste critique les philosophes de salon qui se contentent d’abstractions. Or, à partir de la rencontre Marx-Engels à Paris le film n’est constitué que de dialogues en petit comité, d’échanges "de salon" routiniers entre intellectuels. On ne voit pas beaucoup d’ouvriers sauf comme public applaudissant les conférences. On ne voit pas de conflits sociaux non plus. On loupe le monde en transformation autour du jeune Marx. Il n’y a pas de confusion à avoir sur le propos de Raoul Peck concernant la pertinence historique de l'idée communiste. On comprend tout à fait que la réflexion marxiste sur la division entre bourgeois et prolétaires, engendrant une nécessaire lutte des classes, a offert au prolétariat une doctrine prête à l’emploi. Quand un patron anglais défend le travail des enfants, arguant de la nécessaire compétitivité de son entreprise, on se dit que rien n’a changé dans les discours.

Dans sa forme, le film de Peck manque de bouillonnement collectif, de cette lame de fond populaire qui l’aurait fait sortir des cadres confortables du biopic. La révolution de 1848 est évoquée dans le carton de fin, soulignant que le communisme naît justement au moment où s’agrègent les premières révolutions. Dans le générique de fin, on voit Octobre 1917, Mai 68, le printemps de Prague, les printemps arabes etc. Cette succession d’images historiques place le collectif en dehors du film, sous le chapeau très large d’événements émancipateurs.

En se centrant sur de brillantes individualités tout en réduisant l’histoire collective à quelques images, le film de Raoul Peck n’est pas très clair sur l’actualité de l’idée communiste. La forme académique donne à voir quelque chose de révolu (plutôt que révolutionnaire). Le jeune Karl Marx constitue une belle leçon d’histoire des idées, à défaut d’être un récit à même de remobiliser la gauche, comme on dit.

Les commentaires sont fermés.