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Detroit (Kathryn Bigelow)

Depuis trois films, avec l’aide du scénariste Mark Boal, Kathryn Bigelow est devenue la cinéaste des guerres perdues et des reconstructions difficiles. Les combats que mènent ses personnages sont âpres et désespérés. Inscrits dans la contingence, ils ne donnent le choix que de faire le mieux possible et de survivre. On ne peut pas parler de héros tant ils sont « enfermés » dans des situations. Dans The hurt locker (2008), le sergent William James (Jeremy Renner), coincé dans Bagdad et dans son scaphandre de démineur tente jour après jour d’échapper à la mort. Isolée dans les bunkers de la CIA de Zero Dark Thirty (2013), Maya (Jessica Chastain), porte le fardeau d’une guerre interminable aux terroristes, qui débouchera miraculeusement sur l’élimination de Ben Laden. Quant aux jeunes noirs du Algiers Motel dans Detroit, ils sont les victimes d’un interminable huis-clos mortel qui symbolise l'enfermement dans leur propre pays. On peut parler de cinéma post-héroïque tant Bigelow se refuse à toute célébration de ses « héros ». Ses films sont désenchantés, secs et sans lyrisme. Ses personnages sont des victimes de guerre appelées à surmonter un traumatisme. Larry Cleveland, chanteur meurtri des Dramatics, en est le dernier rejeton, sobrement interprété par Algee Smith.

Film dossier, réquisitoire puissant

1967. Emeutes à Detroit. Les gens du ghetto se soulèvent contre la répression policière. Tandis que les magasins sont pillés, les affrontements sont nombreux entre noirs et forces de l’ordre. La garde nationale est convoquée pour rétablir l’ordre mais elle ne peut contrôler les agissements de la police locale, qui tire sans sommation. C’est à une guerre raciale à laquelle nous assistons. Traversant des décors de destruction, la réalisatrice privilégie la caméra à l’épaule, les plans serrés et courts. En recherche d’une vérité documentaire, elle insère des photographies et des archives télévisées. Le premier quart du film pose donc le décor de la guerre, en identifie quelques protagonistes puis les fait converger vers l’Algiers Motel où va se nouer le drame. Il s’agit d’une « bavure » entraînant l’assassinat de trois jeunes hommes noirs par des policiers blancs. Ce drame est suivi du procès des policiers. Detroit se regarde au premier degré comme un film dossier sur un fait divers horrible de 1967, dans un contexte de conflit racial. Le fait divers éclaire sur la situation des noirs américains à l’époque, tout en nous parlant d’aujourd’hui. Une situation d’injustice et de racisme nous est décrite sans ménagement. Au volet policier succède un volet militaire puis un volet judiciaire. Dans toutes ces étapes contrôlées par les blancs, les noirs sont perdants. Bigelow parle donc (une fois de plus) d’une guerre perdue pour les uns (les noirs), gagnée par les autres (les blancs) au prix de leur dignité. Detroit est en cela un réquisitoire contre la condition des noirs américains.

Schizophrénie

On reproche beaucoup au film de concentrer le mal sur le personnage de Krauss (Will Poulter), jeune flic sans scrupules, raciste et manipulateur. On en oublie juste qu’il donne libre cours à son sadisme car on lui laisse les mains libres. Toute personne qui pourrait le contrer finit par détourner le regard, laisser faire ou se retirer. Heureusement, le scénario nous épargne les discours lénifiants sur les fameux « moutons noirs », « pas représentatifs de la majorité ». Il nous épargne aussi la figure du sauveur blanc au bon cœur, écrite pour contrebalancer le salopard. Detroit eut été alors un pétard mouillé, effrayé par ses propres audaces politiques. Mark Boal et Kathryn Bigelow évitent ces pièges.

Au-dessus des flics de Detroit, les institutions américaines apparaissent complètement schizophréniques. Elles sont garantes de l’état de droit tout en laissant les forces de l’ordre agir dans l’impunité. Detroit décrit aussi très habilement la schizophrénie de certains noirs, décidés à jouer les règles, comme Dismukes (John Boyega) pour au final se retrouver victimes. Ils pensent qu’en suivant la loi, ils participent de la paix et du bien commun alors qu’ils ne font que servir les intérêts des blancs. Mais Bigelow n’enfonce pas Dismukes, qu’elle regarde avec compréhension. Elle le range parmi les victimes qui chacune surmonte le traumatisme différemment (colère, ressentiment, repli, oubli…).

Programme à visée politique

Le qualificatif d’immersif, employé à toutes les sauces, dès qu’un film vous immerge dans une situation sensationnelle, paraît terriblement simpliste pour décrire Detroit. Ce n’est pas un jeu vidéo dans lequel le spectateur est mis dans la peau d’un gibier traqué par des chasseurs sadiques. C’est un programme d’images à visée politique. En reconstituant un fait divers dans un endroit clos, l’Algiers Motel, Bigelow confronte son cinéma aux principes de reconstitution et de vérité. Le défi était ici de démonter minutieusement un fait divers en montrant pourquoi les victimes sont incapables d’en tirer profit. Montrer qu'au Algiers Motel on a assassiné des gens et la vérité. La caméra de Bigelow va fournir aux victimes une vision d’ensemble et déconstruire le mensonge des flics et de la société blanche. Si les victimes pouvaient voir sur les côtés, comme le dit Larry Cleveland au procès, elles ne pouvaient regarder derrière, encore moins assister aux exactions commises dans les autres pièces. La séquestration des jeunes se déroule dans le hall d’entrée et dans plusieurs chambres. Krauss a tout loisir de manipuler et de travestir la vérité en jouant des cloisonnements entre les pièces.

De lieu de plaisir, l’Algiers Motel se transforme en prison. Tout ce qu’il représente de mélange racial, de liberté de ces années 60 est exécré par les policiers. Que des filles blanches couchent avec des noirs les rend malades. Krauss recrée donc en miniature une société cloisonnée dans laquelle s’impose les mensonges de la majorité raciste. En même temps, l’encerclement du lieu empêche les fuites. La police dispose des leviers de contrôle. Son pouvoir est accru par le silence des uns (la garde nationale) ou la complicité des autres (Dismukes). On attend du personnage de Dismukes, qui a accès aux pièces du Motel, qu’il comprenne et dénonce la situation mais son regard trahit sa confusion. Se ranger contre les blancs, le ravalerait soudain à une position de « mauvais noir » qu’il refuse. Toutefois, malgré le contrôle, un tel dispositif finit par craquer…

Une suite liminaire de tableaux du peintre Jacob Lawrence permet d’évoquer rapidement des racines historiques que tout le monde connaît. Au moment où les tensions raciales crispent à nouveau l’Amérique, c’est bien la vérité du présent qui importe à la réalisatrice. Avec Detroit, elle donne crument à voir une société blanche tournée contre sa minorité noire. A la structure du film dossier, efficacement construit, se superpose un manifeste politique exaltant la puissance révélatrice du cinéma. Rarement aura-t-on vu un réalisateur d’Hollywood affirmer des positions aussi franches, aussi courageuses. Ce film sec et spectaculaire est de ce point de vue une très belle réussite.

Commentaires

  • Coucou

    Je te lis depuis un mment. Juste pour te conseiller d'aérer un petit plus, tes paragraphes sonttr ès denses en l'état !

    Sinon, keep up the good work!

  • merci du conseil!

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