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La petite fille de la terre noire (2007), autre facette captivante du cinéma coréen

2016 est une année faste en France pour le cinéma coréen. Mademoiselle, The Strangers, Dernier train pour Busan, quel trio ! On parle ici d’un cinéma qui mixe le genre (thriller, horreur) et des obsessions d’auteur. Ce cinéma percutant et erratique, c’est le mode d’expression d’un pays malade de son passé (colonisation japonaise, dictature) et de son capitalisme écrasant et paternaliste. Le cinéma coréen tel qu’on l’a reçu ces dernières années mélange un savoir-faire américain avec des obsessions locales. Et puis soudain, changement de registre et d’influences ! On reçoit un DVD d’un film sorti en France en 2007, La petite fille de la terre noire de Soo-il Jeon et on tombe sur une œuvre « sociale », très intransigeante dans sa forme. Dans une interview trouvée sur internet, le cinéaste évoque parmi ses influences Antonioni, Bresson et Tarkovsky. Une autre façon de faire du cinéma au pays du matin calme, toute aussi passionnante.

Portrait de gens fragiles

Nous sommes dans un pays minier où le charbon fait vivre de nombreuses familles dont celle de Hyegon, un père qui élève seul sa petite fille Young-Lim et son fils aîné retardé Tong-gu. Hyegon doit arrêter son travail après un accident. Il reçoit bientôt un avis d’expulsion. Il faut continuer à vivre mais il ne sait rien faire en dehors de mineur. Sur une trame de mélodrame social, Soo-il jeon laisse en arrière-plan les luttes sociales. Il est question ici d’évoquer une famille et une contrée en déclin. Alternent les scènes de vie quotidienne dans laquelle la petite Young-Lim fait office de mère de substitution et les scènes dans lesquelles le père cherche à faire vivre sa famille. Elles sont chacune traitées sur un mode délicat et distant, privilégiant des plans larges sans dialogues. Dans cette vallée désolée et grise, Soo-il Jeon s’attache à filmer des individus au sein d’un milieu naturel et d’une communauté en pleine dégradation. Il privilégie un regard pudique et documentaire, laissant les drames éclater à distance ou en hors-champ. Par ce moyen, il se concentre davantage sur les conséquences que sur les causes. Est-il besoin de décrire les raisons du déclin d’un pays minier ? L’objectif est ici de faire le portrait de gens fragiles (les enfants, le père qui ne connaît que la mine), probablement l’échelon social le plus déshérité de la société coréenne.

Le réalisateur est très habile à donner une forme esthétique à cette détresse sociale. Il y a d’abord un travail passionnant sur la bande-son. Gouttes qui résonnent, chants d’oiseau, bruits de signalisation, train qui passe, pas claquant sur le sol. La vallée minière est un espace sonore hostile et en pleine décrépitude qui renvoie l’humain à sa solitude. Des premiers plans sombres à l’intérieur de la mine on retient le bruit des machines. Les bruits et les vibrations accompagnent les personnages dans tout le film. Des notes de contrebasse accentuent les moments dramatiques. On n’échappe à cette empreinte qu’en lui substituant la mélodie d’un piano ou celle d’une chanson à la TV. Mais le réalisateur a aussi réalisé un travail sur l’image très intéressant. Dès les premiers plans, le spectateur a le sentiment d’un film brut et documentaire assez rebutant. Or la mine est porteuse d’une esthétique, sonore bien sûr mais pas seulement, elle transforme les paysages. Ce pays minier enserre ses habitants de couleurs : nuances de gris, de marron, de noir. Il y a deux plans magnifiques qui valent plus qu’un discours sur la déchéance sociale. Le glissement du père de Young-Lim sur une pente caillouteuse, comme s’il était un déchet brisé parmi d’autre. Le plan lointain sur un paysage neigeux où les trois ombres noires de la famille s’impriment, comme des taches mouvantes qui descendent la pente montagneuse. S’exprime une esthétique de la descente et du déclin qui est contrebalancée par des scènes enfantines. La petite fille du titre, Young-Lim, donne à ses scènes un caractère à la fois tendre et faussement innocent. Elle est la victime d’une grande violence sociale. Obligée de faire survivre la famille et de s’occuper de son frère retardé, c’est elle qui agit et prend des décisions. Le réalisateur nous laisse deviner que ces actions sont le pendant inévitable de ce qu’elle subit. La fin le montre, tout en ménageant une part de mystère sur ses motivations.

La mise en scène constitue la grande force du film. Elle lui évite les pesanteurs démonstratives du mélodrame social pour privilégier une atmosphère de solitude et de distance entre les êtres. Le résultat est un film sec et austère comme un caillou mais un caillou qui a de nombreuses facettes brillantes. Le ton est probablement trop énigmatique pour que ce film soit un chef-d’œuvre. Mais voici tout de même une autre facette de ce cinéma coréen qui n’en finit pas d’être captivant.

Pour information: film de Soo-il Jeon sorti en DVD le 15 novembre 2016. Distribué par Les films du paradoxe

http://www.cinetrafic.fr/film-2017
http://www.cinetrafic.fr/meilleur-film-2016

 

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