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Mademoiselle de Park Chan-Wook, encore un film culte?

Attention, avec Mademoiselle on parle du dernier film du coréen Park Chan-Wook, réalisateur de Old boy (2004). Film culte et bénéficiant d’une aura critique impressionnante. Baignant dans une violence grandguignolesque et mobilisant un appareillage dramatique imposant, Old boy m’avait éreinté. Son aspect monstrueux (réclusion, vengeance, inceste) peut être franchement rebutant même si les arguments en sa faveur sont convaincants, comme ici. Mademoiselle n’a pas provoqué un rejet similaire, loin de là, mais je reste sceptique sur certains aspects du cinéma de Park Chan-Wook.

Nous sommes en Corée dans les années 30, pays colonisé par les Japonais. Un escroc coréen (Jung woo-ha) se fait passer pour le comte Fujiwara, un aristocrate japonais. Il pousse Sook-He (Kim Tae-ri), jeune femme pickpocket et orpheline à se faire engager comme servante dans la demeure de Kouzuki (Jin-Woong Cho), un riche collectionneur de livres anciens. Elle y servira Lady Hideko (Kim Min-Hee), sa ravissante nièce tandis que le comte sera son professeur de peinture. Elle doit surtout la pousser à tomber dans les bras de Fujiwara qui l’épousera pour la dépouiller de son héritage. Dès sa rencontre avec sa maîtresse, Sook-He est subjuguée par sa beauté et rechigne à servir l’arnaque de son complice. Tandis qu’une passion saisit les deux jeunes femmes l’une pour l’autre, l’arnaque est menée à son terme, mais de façon inattendue et vue différemment par ses protagonistes.

Assemblage de styles, accumulation de scènes fortes

A l’instar de la demeure de Kouzuki, décrite comme un assemblage de style anglais et de style japonais, Mademoiselle est un film insolite, une architecture filmique étrange et monstrueuse, faite d’un suspense d’inspiration anglo-saxonne et d’une romance lesbienne proche du porno soft. Il y a une propension assez jouissive chez le cinéaste à l’accumulation de scènes fortes dans des registres très différents : pelotage lesbien avec doigt dans la bouche et sucette, lectures d’œuvres érotiques et bondage dans la bibliothèque de Kouzuki, dispute vaudevillesque entre  Fujiwara et Sook-He etc. Le tout est présenté dans un écrin de costumes, de décors et de prises de vue splendides. Mais les apparences sont trompeuses nous dit constamment le réalisateur  qui a un sens du détail et de l’espace assez fulgurant pour nous révéler la nature double des personnages, des lieux et des objets. La maison de poupée d’Hideko est en fait un lieu de cruauté et la douce jeune femme n’est pas tout à fait celle qu’on croit. Les portes se referment comme des couperets. La bibliothèque est en même temps un un lieu de raffinement intellectuel et un antre de supplices. Le magnifique arbre devant la demeure rappelle un suicide. Park Chan Wook se plait à hybrider et à contrefaire les styles. Mademoiselle est un bâtard de thriller et de romance en même temps qu’une réflexion sur la culture et la domination, au travers de la confrontation entre Corée et Japon. Cette tension entre deux cultures se voit aussi bien dans les langues qui marquent la position dominant / dominé (sous-titre jaune pour le japonais, sous-titre blanc pour le coréen) que dans les transformations des personnages. Kozouki est un paysan pauvre coréen qui s’est transformé en riche aristocrate japonais. Fujiwara est un coréen contrefait en japonais. En ce temps de domination impériale du Japon, ils témoignent d’une supériorité de fait de la culture japonaise sur la culture coréenne. Mais cette supériorité s’est traduite en un héritage sur lequel le cinéaste a son opinion. Qu’est-ce que la culture coréenne finalement si ce n’est une contrefaçon de la culture japonaise, dont elle a hérité le raffinement et la violence perverse. N’en déplore-t-il pas l’extrême violence qu’elle fait subir aux femmes, toutes des dominées ? On pourrait voir dans la scène d’autodafé qui prélude à l’évasion des deux héroïnes une forme de libération par rapport à une domination impériale et masculine.

Manque de finesse

Dans ses développements dramatiques, Mademoiselle a sans doute le défaut de trop en dire et de manquer de finesse. Park Chan-Wook explique, détaille, développe, ajoute mais ne retranche rien, sans cesse dans le trop-plein. Peu avare d’explications, il prend la main du spectateur et échafaude un récit à la Rashomon long et artificiel, qui ne produit pas suffisamment de mystère.  On ne sent aucune ambiguïté dans les rapports entre personnages. Les possibilités d’un triangle amoureux ne sont pas explorées et on sait dès le début qu’une passion va lier Hideko et Sook-He. La différence de milieu social et de culture n’existe à aucun moment pour créer de la tension et faire obstacle à l’histoire d’amour. Cette passion, trop axée sur le frotti-frotta racoleur, aurait mérité d’être entretenue à feu lent, davantage empêchée pour en savourer les élans. Park Chan Wook est un cinéaste direct, explicite, qui donne sans cesse l'impression de vouloir provoquer. Il est incapable d’épure et de retrait. Pour être un chef d’œuvre Mademoiselle aurait peut-être dû être plus subtile que frontal, plus japonais que coréen. Il reste néanmoins assez bluffant pour devenir, à l’instar d’Old boy, un film culte.

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