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Moi, Daniel Blake: film honnête et pertinent

Ken Loach est un réalisateur qui n’imprime rien en moi et ce n’est pas faute d’avoir vu beaucoup de ses films. Loach, c’est un peu le devoir imposé de tout cinéphile ayant quelques traces de conscience humaniste « de gauche ». Land of freedom, My name is Joe, Bread and roses, The navigators, Sweet sixteen, Just a kiss, Le vent se lève : j’ai fait mon devoir à chaque fois mais du point de vue visuel et émotionnel, il n’en est rien resté. Bien sûr, avec le titre, je me souviens toujours du sujet : Land of freedom, c’est le Loach sur la guerre d’Espagne mais de là à me remémorer ce que ça raconte exactement… Ses films sont aussi intéressants sur le fond que des articles du Monde Diplomatique mais est-ce qu’on se souvient avec émotion d’un dossier lu sur la privatisation du chemin de fer britannique ? Non, évidemment. Bien qu’il sache créer des personnages attachants (le Joe de My name is Joe par exemple), sa mise en scène fonctionnelle, cachée derrière son sujet, le classe davantage comme un témoin engagé de l’époque actuelle que comme un artiste essentiel. Alors que j’avais décroché depuis le sympathique mais oubliable Looking for Eric, la palme d’or pour Moi, Daniel Blake, a surtout eu le mérite de me pousser à voir un de ses films.

Dénonciation de l’Etat providence anglais

Puisqu’on parle d’un film dossier, commençons par le sujet. Il s’agit d’un menuisier, Daniel Blake (Dave Johns), veuf, la cinquantaine, qui a été victime d’un accident sur un chantier. Son cœur a lâché et incapable de reprendre le travail, il doit accomplir des démarches pour conserver son indemnité d’invalidité. Mais contre toute logique, la machine administrative le jugeant suffisamment valide lui supprime son indemnité et l’oblige à chercher du travail alors qu’il ne peut plus accomplir de taches physiques. Il ne sait pas utiliser d’ordinateur, ce qui aggrave sa situation. Pour s’en sortir, il ne peut se raccrocher qu’à la solidarité individuelle alors que l’agence pour l’emploi, au lieu de l’aider, le menace de sanctions. Le sujet, c’est la dénonciation de l’Etat providence anglais qui, dominé par une logique comptable et libérale s’est transformée en machine à exclure les plus fragiles et les moins qualifiés. L’amitié entre Daniel Blake et Katie (Hayley Squires), une mère célibataire de deux enfants, ajoute à la logique démonstrative une coloration mélodramatique mais Loach a d’abord construit son film comme illustration linéaire d’une impasse sociale. Chaque séquence est une pièce apportée au dossier : le cauchemar numérique pour le travailleur manuel âgé, la démarche punitive des conseillers, la solution de la débrouille pour les malins (China et ses chaussures de sport) etc. Chaque fois, un fondu au noir clôt la situation pour nous dire qu’il n’y a pas d’issue. Le film est dénué de musique, le rythme est indolent et mécanique. J’ai été pris d’une sensation de pesanteur et de légère oppression au fur et à mesure que Daniel Blake perd pied. Ce film est une descente douce et inexorable dans le désespoir. Katie voudrait reprendre des études mais elle n’arrive même pas à trouver un boulot. Daniel doit vendre ses meubles pour avoir un peu d’argent. Face à l’hydre désincarnée du système social britannique, il semble n’exister aucune solution politique et collective. On dirait qu’il n’y a plus de société civile pour défendre les travailleurs pauvres, ce qui est sans doute la réalité.

La palme pour le discours

Le discours est très pertinent dans le contexte de remise en cause de l’Etat providence en France et ailleurs en Europe. Il en est qui rêvent de « remettre au travail » les chômeurs alors que le travail ouvrier se désagrège et que les jobs au rabais se multiplient. La palme d’or ? Méritée si on donne du poids au fond, ce qui n’est pas exactement l’objet de cette récompense. Honnêtement filmé, il n’est marquant que par ses brusques crêtes dramatiques. Au milieu du marasme, il y a encore un peu de vie, de la colère ou des larmes, qui saisissent le spectateur. L’effondrement de Katie à la banque alimentaire,  Daniel bombant la façade du job center ou cette fin que je ne raconterai pas apportent à ce film finalement très fataliste quelques éclats de puissance dramatique. Disons que Moi, Daniel Blake a des qualités et sait se montrer émouvant mais dans le genre, il n’atteint pas la puissance de Rosetta des frères Dardenne, qui déjà en 1999, contait le désespoir social. Par son âpreté peu commune, Rosetta avait mérité sa Palme d’or. En 2016, plutôt que celui de Loach, c’est un film social infiniment plus aventureux qui méritait la récompense cannoise: Toni Erdmann de Maren Ade. Tant mieux pour Ken Loach.

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