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Ma vidéothèque idéale: La dernière corvée d'Hal Ashby

Avec La dernière corvée (The last detail), Hal Ashby réalisait en 1973 un film modeste et poignant qui vaut d’être redécouvert. L’œuvre de ce réalisateur qui a débuté comme monteur à Hollywood mérite d’être visionnée de toute façon, pour sa tonalité d’époque, pour son originalité. Je cite ceux que j’ai eu la chance de voir en plus de celui-ci: Harold et Maude (1971) et surtout l’extraordinaire Bienvenue Mr Chance (1979), histoire d’un jardinier retardé qui devient conseiller à la Maison Blanche !
Deux gars de la Navy, Buddusky (Jack Nicholson) et Mulhall (Otis Young) doivent escorter le soldat Meadows (Randy Quaid) à la prison de Portsmouth. Le tout jeune soldat a piqué 40 dollars dans la caisse d’une œuvre de charité gérée par l’épouse de l’Amiral et s’est vu condamné à 8 ans de prison. Peine sévère pour un garçon à peine sorti de l’adolescence et peu sûr de lui. Les deux soldats voient dans l’escapade de cinq jours qui leur est offerte un moyen de s’amuser. Pris de pitié pour Meadows, ils décident de lui payer du bon temps avant son incarcération.

Théâtre ambulant

Par la mise en scène, le jeu des acteurs et les dialogues, nonchalance et je-m’en-foutisme contaminent immédiatement le film. Un soldat vient chercher Buddusky pour qu’il prenne ses ordres auprès du commandant et le marin est au premier plan, flou, avachi, fatigué. Le tambour martial accompagnant les militaires génère un décalage ironique entre le décorum militaire et l’état d’esprit de la soldatesque. On devine des hommes fatigués des contraintes et des absurdités de la caserne (ordres, corvées, monotonie), désireux d’y échapper autant que possible. Sur le premier tiers décrivant leurs déplacements en train, un faux rythme s’installe. Ils voyagent mais cherchent à gagner du temps, à éloigner au maximum le moment où ils livreront leur prisonnier. Cette balade de trois soldats fait l’effet d’un théâtre ambulant où fourmillent les petits événements. Il ne s’y passe pas grand-chose du point de vue dramatique mais les trois acteurs, tous brillants ont une capacité à habiter et à nourrir les séquences, chacun à sa façon. Jack Nicholson produit le jeu le plus flamboyant, alternant déprime, colère et dérision. Otis Young a l’abattage sobre et retenu du soldat noir qui doit beaucoup à la Navy et qui peut difficilement dévier. Randy Quaid joue un jeune homme mal dans sa peau, fascinant dans une forme de sous-jeu accentué par ses postures de dadais lunaire.

Etalage de pudeur et de retenue

Les complémentarités entre ces trois acteurs seraient stériles sans le scénario écrit par Robert Towne, personnage clé du Nouvel Hollywood, qui a contribué à Bonnie & Clyde et à Chinatown. A partir du moment où Mulhall et Buddusky décident de divertir Meadows, le film risque d’en faire trop mais évite les écueils. Qu’ils déniaisent Meadows dans un bordel ou s’incrustent dans une soirée de petits bourgeois hippies, Towne nous montre leur face la plus fragile et fait étalage permanent de pudeur et de retenue. Ces militaires qui pouvaient prêter à des situations grossières sont décrits comme des petits garçons perdus en dehors de la caserne, écrasés par le devoir d’accomplir une mission injuste. Cette mission se fait d’autant plus pesante qu’ils initient Meadows à la vie et s’attachent à lui. Une séquence démontre à elle seule la subtilité du scénario : celle où ils décident d’emmener Meadows chez sa mère. Le dispositif que je ne décrirai pas parvient à nous montrer l’origine de Meadows, la source de sa tristesse, tout en nous évitant la lourde scène révélatrice et le déballage pathétique. Le filmage d’Hal Ashby privilégie un rythme traînant et les séquences s’enchaînent par fondu-enchaînés comme si Ashby, monteur de métier, voulait marquer une sorte de progression initiatique entre chaque séquence. Meadows progresse et se révèle à son rythme.

Encourageant Meadows à obtenir ce qu’il veut et à sortir de sa torpeur, Buddusky joue la figure paternelle bien malgré lui, ce qui nous rend la fin du film plus douloureuse. Le roman dont le film est tiré, écrit en 1971 par Darryl Ponicsan est contemporain de la guerre du Vietnam. Faire livrer par deux braves types un gamin innocent à une punition injuste semble entrer en résonance avec ce conflit, évoqué une fois dans le film, qui a traumatisé toute une jeunesse – interprétation personnelle. Cela dit, le film vaut en dehors de cet arrière-plan comme le portrait émouvant d’êtres en proie à la fatalité.

J’ignore si depuis trente ans, Hollywood nous a servi personnages de militaires plus humains que ceux incarnés par nos trois « héros ». Merci Towne, merci Ashby.

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