John Huston
L'avenir: sans éclats
L’avenir de Mia Hansen-Love commence par le passé, à St Malo, sur la tombe de Chateaubriand. Nathalie Chazeaux, interprétée par Isabelle Huppert, se promène avec son mari Heinz et ses enfants. Après le panneau indiquant que l’écrivain a choisi le silence dans le repos éternel, plan large sur la tombe et l’océan. Le titre du film apparaît, comme un avertissement. Présage de la mort et immensité de l’océan sur lequel il n’y a pas de point de repère ?
Le monde des intellectuels bourgeois
Puis c’est la vie parisienne qui reprend et le film enchaîne d’un ton léger les épisodes de la vie d’intellectuelle bourgeoise de Nathalie. Elle habite un bel appartement, près des Buttes Chaumont. Son mari, joué par André Marcon, est comme elle professeur de philosophie et semble un homme stable et plein de certitudes. Elle dirige une collection de livres philosophiques. Contre le blocage de son lycée et la grève des lycéens, elle fait cours imperturbablement pour ses bons élèves. Elle vit dans le monde rassurant et aimable des intellectuels bourgeois, gens raisonnables qui prennent le temps de lire de bons livres. Elle a bien été communiste autrefois mais « ça n’a duré que trois ans ». Il n’y a bien que sa mère (Edith Scob), une femme visiblement instable qui lui pose des soucis. Pendant les vingt premières minutes, la réalisatrice et scénariste pousse les saynètes l’une après l’autre, s’appuyant sur Isabelle Huppert pour donner une coloration pince-sans-rire à ce tableau d’une existence bourgeoise bien balisée. On a l’impression d’avoir vu cela mille fois mais on sait que Mia Hansen-Love aime bien télescoper les vies bien tracées avec des drames et observer ce qu’il se passe. Dans Un amour de jeunesse, Camille (Lola Creton) devait continuer à vivre après l’absence de son amoureux, parti de longues années pour l’Amérique du Sud. Dans Le père de mes enfants, c’est une famille heureuse qui devait surmonter le suicide du père, un célèbre producteur de cinéma. Film après film elle se plaît à travailler l’enchaînement d’une rupture douloureuse et de la reconstruction de ses personnages dans le temps. Néanmoins, en étant trop fidèle à ce principe et en rejouant des motifs déjà vus (le séjour à la campagne, la vie de l’élite intellectuelle et artiste), ce film m’a paru inabouti et par moment fade malgré les efforts d’Isabelle Huppert. L’actrice se situe à un niveau tel que professeur de philosophie ou ouvrière, elle sera toujours convaincante. Son jeu est riche et nuancé, invitant tantôt au rire, tantôt à la compassion.
Sage et retenu
Nathalie Chazeaux a beau être professeur de philosophie et rompue aux raisonnements, la suite de drames personnels qu’elle subit la laisse impuissante. Avoir lu des livres intelligents ne lui donne pas d’armes pour surmonter ses difficultés. Le personnage de Fabien (Roman Kolinka), l’ancien élève doué devenu libertaire, joue le rôle d’un catalyseur dramatique mais il n’est pas opérant. Obligée de renoncer à une partie de son ancienne vie, Nathalie pourrait trouver dans la philosophie et dans les utopies de la jeunesse (faire la révolution, vivre en dehors de la société) une forme de régénération. Mais elle n’a que des larmes à opposer à ses malheurs – multiples plans sur son visage humide - et son corps osseux et tendu pour se mouvoir, malgré sa tristesse. Son personnage bouge souvent mais fait du surplace, ligoté par un scénario sage et retenu. Mia Hansen-Love lance les amorces, pour les retirer immédiatement. Un homme la poursuit au cinéma pour l’embrasser. Ses élèves veulent monter un site de philo avec elle. Fabien l’encourage à plus de radicalité politique. Rien ne la fait changer hélas et la réalisatrice ne tente pas un instant de l’entraîner malgré elle autre part. Il y a petit à petit une résignation qui enserre le personnage et lui fait adopter le plus petit dénominateur de la morale commune. Quand Fabien lui demande si elle a quelqu’un dans sa vie, elle répond que ce n’est plus possible à son âge, maintenant qu’elle est grand-mère. Le scénario adoptant la pusillanimité de son personnage et la réalisatrice ne se renouvelant pas dans sa mise en scène, le film ne peut que décevoir.
L’avenir est joliment photographié et sa bande son est de bon goût mais ce bon goût est ronronnant. Sur le même thème du personnage confronté à une rupture, déjà avec Isabelle Huppert, un film comme Villa Amalia (2009), déclinait une forme de radicalité beaucoup plus intéressante. Sans compromis, l’héroïne avait décidé de liquider son existence et Benoît Jacquot mettait en scène le renoncement implacable à une vie artiste et bourgeoise. Mia Hansen-Love a choisi elle de ne pas faire d’éclats.