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La Conspiration du Caire (Tarik Saleh)

Pour des raisons commerciales louables, ceux qui ont choisi le nom français du dernier film de Tarik Saleh ont privilégié sa dimension d’intrigue politique, son côté « film d’espionnage ». Allez voir une conspiration cairote, c’est plus prometteur que l’histoire d’un Boy from Heaven (Garçon venant du Paradis) qui est le titre international et la traduction littérale du titre en arabe. Cette histoire de titre reflète les lectures qu’on peut faire de ce film réellement captivant. Boy from Heaven est l’histoire initiatique d’Adam, fils de pêcheur qui va perdre son innocence et ses illusions en entrant à l’université d’Al-Azhar. La Conspiration du Caire est aussi le récit des luttes de pouvoir au sein de cette grande université islamique, entre l’institution religieuse et l’Etat égyptien.

Adam (Tawfeek Barhom) est un jeune homme élevé à la dure par son père pêcheur. Pauvre, provincial, il a tout à apprendre du monde qu’il découvre. Pendant la majorité du film, le spectateur est mis à son niveau d’innocence et ressent sa fébrilité. Son entrée à Al-Azhar, la plus prestigieuse université du monde sunnite est une promotion unique étant donné son origine sociale. Bien que le film n’ait pas été tourné en Egypte mais en Turquie (et on comprend pourquoi), il nous transporte dans un lieu original que le cinéma n’a, me semble-t-il, jamais visité. Tariq Saleh filme ce lieu comme un monde à part, séparé de la société moderne. Les prises de vue montrent de vastes cours où l’enseignement est donné en plein air à de petits groupes, par de vénérables savants. Il n’y a que de jeunes hommes habillés de turbans, occupés par le Coran et les textes des docteurs de la foi. Le film bascule quand meurt l’Imam de l’Université. Ce qui semblait un lieu protégé du monde, dédié au savoir théologique, devient objet d’une lutte politique féroce. Sous les traits de l’inspecteur Ibrahim (excellent Fares Fares) entre en jeu la sécurité d’Etat qui se mêle de succession. La liste de candidats contient pour le pouvoir politique un nom acceptable et des noms indésirables. Adam est repéré par Ibrahim pour remplacer un secrétaire mystérieusement assassiné et servir de taupe au sein de l’institution.

On ne détaillera pas les intrigues qui font perdre à Adam ses illusions. A Al-Azhar on apprend la sagesse coranique mais Adam apprend surtout la nature du monde dans lequel il vit. Il vit dans un univers religieux en proie à des guerres de factions, dans lequel résonnent les mots Daesh et Frères musulmans. Il découvre les hypocrisies et la corruption des imams qui ne vivent pas en accord avec la parole qu’ils prêchent. Il est citoyen d’une société totalitaire, l’Egypte du maréchal al-Sissi dans laquelle la surveillance, la manipulation et la torture sont courantes. Adam est donc bien ce Boy from Heaven, ce pur qui fait l’apprentissage du Mal y compris dans un lieu de savoir et d’esprit. Son parcours est une succession d’épreuves dont l’enchaînement peut paraître un peu mécanique. Mais la conspiration du Caire n’est pas tant un film d’espionnage à suspense qu’un conte philosophique sur un innocent qui doit sauver sa peau. Il ne sert à rien d’apprendre la sagesse sans pouvoir la mettre en pratique. Si Adam parvient finalement à revenir aux origines, sa terre natale, donc à regagner le Paradis, c’est parce qu’il a réussi à déjouer le Mal par sa connaissance des enseignements d’Allah.

On comprend pourquoi Tarik Saleh n’a pas tourné au Caire mais en Turquie (Istanbul). Aurait-il été citoyen et résident égyptien qu’il serait probablement censuré ou mis au cachot quelque part. D’origine égyptienne, il est né à Stockholm et citoyen suédois. Son film est une charge contre le régime politique égyptien et un portrait critique du monde musulman. Il n’y a que des hommes sur la scène des combats politiques entre l’Etat et l’université, les femmes n’y ont aucun rôle. L’imbrication et la lutte entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel sont des invariants de l’histoire du monde musulman et cela ne produit aucun bien pour les populations. Saleh prend-il parti pour un camp plutôt que l’autre ? A voir le jeu d’un Fares Fares vieilli et un peu bouffon, les manœuvres constantes de son personnage, on devine que le cinéaste n’a aucune sympathie pour ce pouvoir égyptien bête et méchant qui traite les individus comme des pions. En a-t-il davantage pour Al-Azhar ? Pas beaucoup plus : bien que source de modération en Islam, cette institution de savoir est trop compromise, trop exposée à la corruption. La leçon qu’en tirent Adam et le spectateur est assez amère : il faut rester le plus loin possible des pouvoirs, quels qu’ils soient.

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