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Netflix : Blonde (Andrew Dominik)

Après avoir visionné les 2H46 de Blonde, il m’a fallu revoir Certains l’aiment chaud, comme si la comédie délicieuse de Wilder pouvait servir d’antidote à la Marilyn d’Andrew Dominik. Était-ce vraiment ça Marilyn Monroe ? Était-ce sa vie ? Le film est une adaptation du roman éponyme de Joyce Carol Oates et on sait que l’écrivaine américaine a fictionnalisé la star américaine, ce qu’on voit à l’écran ne correspondant pas toujours à la réalité. Mais le scénario a pris un parti pris radical : la vie de Marilyn Monroe n’aura été qu’une suite de traumatismes qui ne pouvaient aboutir qu’à cette fin tragique, overdose médicamenteuse, que tout le monde a retenu.

Je connais peu la filmographie d’Andrew Dominik. Je me souviens du seul Cogan – Killing them softly (2012), film de gangster pas passionnant mais très esthétisant, avec Brad Pitt. Il se trouve que Brad Pitt a produit Blonde et que ce film est un festival d’effets esthétiques. Certaines séquences sont d’ailleurs sidérantes, comme lorsque la petite Norma pas encore Marilyn traverse en voiture avec sa mère les collines en feu d’Hollywood et qu’elle réalise à quel point sa génitrice est folle. Premier traumatisme au milieu des flammes, baptême du feu dans une atmosphère surréelle qui aboutira à une séparation déchirante. Blonde est un film au formalisme voyant dont les effets entrent en résonnance avec la psyché tourmentée de son héroïne. Les cadrages, la lumière laiteuse, les variations fréquentes de chromatisme concourent à souligner les terreurs et états limites de l’actrice. On se dit souvent que le bonheur et l’insouciance ne sont que des états passagers pour elle. Il faut attendre une bonne heure pour voir Monroe dans une foule, au contact de gens. Son existence est totalement solitaire et noyée dans la névrose. Les partis pris du film sont radicaux : la vie de Marilyn est un chemin de croix. Sentiment de folie, échecs conjugaux, viols, avortements, rien n’est épargné. La vision sombre est le miroir inversé de ce qu’on voit à l’écran. De l’autre côté du miroir, dans ses films, elle est sensuelle, ingénue, rayonnante, tout le contraire de ce que montre l’interprétation d’Ana de Armas, bonne actrice mais dépouillée de tout pouvoir de fascination. On se demande comment sa Marilyn hébétée et amaigrie a pu produire un tel effet sur ses contemporains. Marylin Monroe n’a-t-elle jamais aimé la vie, n’a-t-elle jamais eu de plaisir ni de relations authentiques avec d’autres êtres humains ? A voir Blonde, on dirait que non.

C’est l’industrie cinématographique qui a créé le mythe Monroe. Mais Blonde livre une vision horrifiée du cinéma, traité en hors champs comme une matière honteuse. Milieu cruel, impitoyable mais dont la star a bien tiré quelques avantages pour compenser ses malheurs. L’amour du public par exemple ? Elle a eu une carrière à gérer, des choix rationnels à faire. Elle a travaillé avec d’excellents metteurs en scène (Preminger, Hawks, Mankiewicz, Wilder, Hathaway, Huston) qui contrairement à ce qu’on voit à l’écran lui ont permis de participer à des œuvres mémorables, pas à produire de la merde. Ses relations avec d’autres acteurs et les gens du milieu qui l’ont aimée ou soutenue (Jane Russell, Montgomery Clift, Clark Gable, Yves Montand, Dean Martin…) ainsi que son travail sur les tournages sont ignorés pour ne montrer que sa frustration et sa colère. On se demande comment une femme à ce point vulnérable et terrorisée a pu tenir et rester dans ce métier s’il était si violent et minable. Le film cherche à démontrer plusieurs fois qu’elle était une comédienne bouleversante et en même temps sous-estimée et que trop occupés par son cul les hommes méprisaient sa culture (ce qui est vrai). Le sens du film est sans doute à chercher dans deux images fortes : celle des visages masculins qu’elle croise à une première, concupiscents, obscènes, déformés par le désir et celui du président Kennedy alité, auquel on livre Marilyn Monroe comme un morceau de viande, séquence marquante où JFK est figuré en prédateur et violeur en série.

C’est dans les échos du mouvement #MeToo qu’il faut entendre le message de Blonde. Les coupables du malheur de Marilyn et de sa mort sont les hommes, presque tous les hommes. Il y a le fameux « daddy » qui a délaissé sa mère et qui la hante constamment, les producteurs qui violent les actrices, les gens des studios qui se fichent d’elle et la manipulent, JFK, Joe Di Maggio qui l’aimait mais la cognait parce qu’elle était trop libre. Marilyn Monroe était à ce point méprisée et rabaissée par les hommes qu’elle ne pouvait être heureuse, c’est le message du film. Alors on peut le trouver trop long et accablant, on ne peut lui enlever ses partis pris et ses effets de style parfois superbes. Certains moments en noir et blanc font penser au Scorsese de Raging bull, d’autres tendent à l’étrangeté (Marilyn parlant au fœtus dans son ventre) mais n’y restent pas suffisamment pour que le film atteigne une monstruosité à la Lynch.

Sur le site imdb, beaucoup de spectateurs déplorent l’outrance du film qui est plutôt mal considéré. Cet autre côté du miroir qui prend des libertés avec le réel est difficile à accepter : trop martyr, trop plombant. L’icône est abîmée, c’est vrai, mais ça donne toujours envie de revoir ses films pour se souvenir des raisons qui rendaient Marylin unique…

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