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La Nuée (Just Philippot)

Après avoir vu Les Oiseaux d’Hitchcock, on peut avoir peur des nuées de volatiles. Après Les Dents de la mer, on n’aime plus trop nager en eau profonde. Et après La Nuée, craindra-t-on les sauterelles ? J’aimerais dire du premier film de Just Philippot qu’il fait partie de cette prestigieuse lignée de films et que ses insectes m’ont terrifié mais je ne suis pas si enthousiaste que cela. Peut-on observer que pour une fois une production française aura fait sa place dans le genre de l’horreur ? La Nuée est un film qui gagne en intensité à mesure qu’il avance, on peut même admettre qu’il réussit à être inquiétant. Et pourtant…

Agricultrice dans le Sud-Ouest, Virginie (Suliane Brahim) élève seule sa fille Laura (Marie Narbonne) et son fils Gaston (Raphaël Romand). Pour s’en sortir, elle s’est lancée dans l’activité de la sauterelle comestible, fournissant aux éleveurs du coin une farine hautement protéinée. Cela ne décolle pas jusqu’au jour où elle se rend compte que son sang, le sang en général, décuple les capacités reproductives de ses bêtes et que sa production croît en flèche. L’idée est originale et a valeur symbolique : les petits exploitants comme Virginie se saignent pour survivre. C’est sans doute dans cette insistance à décrire la condition sociale de la mère de famille, les répercussions sur ses enfants et surtout sur sa fille qu’on reconnaît le caractère très français du film. Il faut faire œuvre naturaliste plutôt que de se laisser aller à faire peur. C’est une question d’équilibre et on constate que ce film bien fichu aurait pu être plus terrifiant et malsain.

La Nuée est convaincant surtout quand il revient à son sujet, les sauterelles. Parfois la caméra s’arrête sur elles et quelques plans intéressants nous font comprendre que depuis qu’elles ont goûté au sang, elles ont changé de comportement. Elles sont incarnées par un vrombissement de plus en plus ample et la réalisation sonore du film est plutôt réussie. Mais on regrette que le réalisateur n’ait pas réduit ses intentions naturalistes pour réaliser un film complètement invasif qui aurait permis d’instiller davantage de folie. A un moment Gaston rêve que les sauterelles débordent de leur vivarium et qu’elles sortent de l’évacuation du lavabo mais c’est une tentative courte et timide pour les rendre plus présentes. On se souvient du fauché mais très original film de Saul Bass, Phase IV (1974), dans lequel une civilisation de fourmis rouges prend le pas sur l’humanité grâce à son intelligence collective supérieure ! Même si ce film a des défauts, il assume jusqu’au bout son intrigue insolite et produit quelques séquences proprement hallucinantes. Le film de Just Philippot finit par s’assumer comme film d’horreur « premier degré », horrible et hystérique dans ses vingt dernières minutes et c’est très bien comme cela car les dernières séquences démontrent une maîtrise technique évidente.

Les acteurs sont bons notamment Suliane Brahim (de la Comédie Française, très rare au cinéma), naturelle, et Marie Narbonne qui joue une adolescente en crise très crédible. Elles excellent dans le registre du drame social mais il manque à leur jeu une déviation résolument malsaine. Pourtant le scénario touche à quelques situations déviantes qui auraient pu être mieux exploitées. Quand Virginie plonge son bras ensanglanté dans la nuée, les sauterelles friandes d’hémoglobine vont jusqu’à pénétrer dans sa chair. Dans le plan suivant, on la voit retirer à la pince les mandibules fichées dans sa peau meurtrie ! Que voilà une référence évidente à Cronenberg et à ses visions d’horreur biologique, de chair muée et hybridée. Mais encore une fois, le film n’exploite pas assez son potentiel d’horreur. Remarque toute bête : Laura est harcelée à l’école par un groupe qui moque l’activité de sa mère, mais cette histoire de harcèlement est abandonnée en cours de route. Pourquoi ne pas avoir fait en sorte que les sauterelles bouffent les adolescents pénibles ? Un film américain l’aurait sans doute tenté mais cela nécessitait un esprit plus casse-cou et déjanté.

Dans la production française souvent stéréotypée, on reconnaît l’originalité de La Nuée. Il est de plus techniquement bien conçu et comporte quelques séquences marquantes surtout dans sa seconde partie. Plein de promesses et conscient de ses références cinéphiles mais hélas alourdi par son réalisme à la française, il n’est pas allé au maximum de son potentiel malsain et choquant.

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