John Huston
Promising young woman (Emerald Fennell)
On se voudrait spectateur d’une comédie cynique, un very bad truc de plus, un délire plein d’humour noir mais ce n’est pas vraiment le cas. Même si elle en emprunte la forme et les décors, l’histoire de Cassandra « Cassie » Thomas (Carey Mulligan), fille désabusée de la classe moyenne américaine, ne provoquera pas de grands éclats de rire. Le dialogue est émaillé de lignes drôles, l’ensemble est grinçant mais c’est à du drame auquel on a affaire. Cassie a abandonné ses études de médecine suite au viol collectif de Nina Fischer, une amie d’enfance morte depuis. Désespérant ses parents, elle végète dans un boulot de serveuse. La nuit, elle se déguise en fille facile et feint d’être saoule pour aimanter les mâles et les humilier.
Ecrit par Emerald Fennell, comédienne et scénariste (la série Killing Eve, pas vue), le film dévie habilement d’une trajectoire toute tracée. S’évertuant à attirer de jeunes hommes tous plus connards les uns que les autres, il fallait bien un moment que Cassie rencontre l’âme sœur et qu’elle se plie aux conclusions d’une comédie romantique. Si elle rencontre bien un homme qui a l’air un peu meilleur que les autres, Ryan (Bo Burnham), on verra que la gente masculine ne peut échapper au réquisitoire intégral que la scénariste a élaboré. Les critiques parlent d’un film « programmatique », « didactique », c’est indéniable et on pourrait ajouter démonstratif mais c’est totalement assumé. Promising young woman est un film féministe. Fennell illustre séquence par séquence les mécanismes sociétaux qui engendrent et perpétuent les viols et agressions sexuelles. S’il fallait une incarnation de ce qu’on veut dire par « culture du viol », on pourrait utiliser ce film.
Parler de viol c’est d’abord parler de victimes que beaucoup se sont empressés d’oublier et rappeler le mal qui leur a été fait. Cassie porte en elle la mémoire de sa copine Nina. On regrettera toutefois que son personnage phagocyte la figure de la victime, une incarnation de Nina (sous forme de flashbacks ?) aurait permis d’atténuer le côté artificiel du récit. Parler de viol, c’est garder comme femme et amie le regret de ne pas avoir été plus solidaire et plus solide pour affronter les violeurs. Parler de viol, c’est évidemment exposer crument la bassesse, les insultes, le mépris et la violence des hommes, prompts à briser le consentement mais toujours solidaires les uns des autres quand il s’agit de se défendre ou de s’exonérer de toute responsabilité. C’est là où le film fera débat : tous les hommes ou certains hommes ? Le spectateur est invité à s’identifier à Cassie et à comprendre sa subjectivité. Le traumatisme est là, le monde est pour elle rempli de prédateurs masculins. Si le personnage de Ryan demeure sympathique, le film ne se prive pas d’accentuer la laideur de certains hommes – cf. Christopher Charles Mintz-Plasse en pseudo-écrivain veule et visqueux.
Outre son visage ridée ayant perdu l’innocence de la jeunesse, ce qui saute aux yeux dans l’excellente interprétation de Carey Mulligan, c’est la solitude de son personnage, le fait qu’elle ne croit plus au bonheur alors que le mariage lui tend les bras. Elle a sous les yeux l’exemple de ses parents mais quelque chose nous dit que ça n’a rien de flamboyant. Fennell utilise bien la largeur de son format d’image qui écrase ses personnages. Les intérieurs de la maison familiale, sanctuaire du « bonheur » conjugal, sont terriblement kitsch et suscitent l’amusement. Etre une bonne épouse comme la mère de Cassie, c’est entretenir un intérieur laid et plein d’ennui, difficile pour Cassie d’endosser une telle vie. Le film est aussi une critique sociale acerbe : la classe moyenne américaine, sous des dehors respectables et proprets, préfère le confort et l’oubli à la dénonciation de situations inacceptables.
Le film suit son scénario didactique sur un rythme lancinant qui est plus celui du drame que de la comédie. Accablée par la mémoire de sa copine, Cassie scénarise sa vengeance et Fennell nous propose sur la fin une sorte d’anti Very bad trip pas très subtile. Même si je l’ai trouvé convaincant sur la longueur grâce à son actrice et à certains choix de mise en scène, le principal défaut du film est de tout plier à sa démonstration. Difficile de prendre en pleine face la description d’un monde aussi toxique, il n’est jamais aisé d’accepter ce genre de dévoilement, même s’il a des allures factices.