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Ma vidéothèque idéale : Votez McKay (Michael Ritchie)

2022 approche et la France va plonger dans la frénésie d’une campagne présidentielle. Avec leur lot de reportages et de débats de plateau, les élections dans une démocratie moderne sont un objet à ce point télévisuel qu’on compte sur les doigts d’une main les œuvres cinématographiques sur la conquête électorale. On en trouve moins que de films sur l’exercice du pouvoir mais on en trouve quelques-uns : je pense à la Conquête (Xavier Durringer), Les marches du pouvoir (George Clooney), Bob Roberts (Tim Robbins) ou Primary colors (Mike Nichols). Ce sont des fictions assez réussies, on peut leur préférer l’exercice documentaire, comme 1974, Une partie de campagne sur l’élection de Valéry Giscard d’Estaing. Et puis, il y a ce film de 1972 porté par Robert Redford, The candidate, Votez McKay en version française, qui conjugue les qualités du documentaire et de la fiction et qui est sans doute le plus convaincant dans le domaine. C’est le seul que je connaisse de Michael Ritchie, réalisateur dans les années 70-80, de bonne réputation si on jette un coup d’œil à sa filmographie.

Nous sommes en Californie. Les élections sénatoriales sont l’occasion pour le Parti Démocrate de déloger un vieux routier de la politique, le sénateur républicain Crocker Jarmon (Don Porter). Marvin Lucas (Peter Boyle), consultant pour le parti, pousse le jeune avocat Bill McKay (Robert Redford) à se lancer dans la campagne pour porter ses idées progressistes. Le film se situe à une époque précise, celle des années Nixon: le capitalisme s’essouffle, la prospérité laisse place au chômage, les dégâts environnementaux sont de plus en plus insupportables. McKay est idéaliste et inexpérimenté mais on perçoit la pertinence de son positionnement politique. Ses convictions sont sociales et écologiques, favorables aux jeunes et aux minorités, il a un terrain favorable pour contrer les schémas chauvins et démagogiques de son adversaire. Encore faut-il attirer les électeurs par un discours intelligent, articulé, ce qui demande du temps. Mais l’époque est au développement de la télévision et du marketing politique. Il s’agit de bien passer à la télévision tout en martelant des messages calibrés pour des spots publicitaires. On peut vendre un candidat comme un shampooing, pas besoin de réflexion profonde. Votez McKay met donc en scène le hiatus entre idéalisme et marketing politique qui se développe à ce moment-là. Est-il possible de défendre de nobles idées alors que le format et l’emballage occultent le message ?

Avec son montage chaotique, sa prise de son naturelle et sa capacité à enchaîner les péripéties et inserts publicitaires, le film est construit comme un reportage frénétique d’1h50. Le candidat est balloté par les événements : galas de donateurs, rencontres inattendues, réunions électorales, exercices médiatiques. Il doit déjouer les crises et coups bas tout en mettant de côté ses états d’âme, ce qui donne un film constamment vivant et fluide. La réalisation de Ritchie, subtile, réussit à faire des allers-retours entre documentaire de campagne souvent drôle et moments intimes. Ceux-ci montrent qu’il y a bien un enjeu personnel au cœur du film. L’idéalisme de McKay ne vient pas de nulle part, il est le fils de l’ancien sénateur John J. McKay (Melvyn Douglas) dont on devine en quelques courtes séquences la rouerie et le cynisme. L’enjeu est pour Bill plus important que de conserver ses convictions. Il s’agit de « tuer le père » pour ne pas reproduire ce qu’il déteste. Emporté dans cette foire incessante, en a-t-il seulement le pouvoir ? Le film ne perd pas son temps à discourir sur les effets corrosifs du manège politique. Les images sont suffisantes. Il suffit d’une très jolie femme murmurant à l’oreille du candidat, lui proposant quelque chose de tentant, pour se dire qu’il lui sera difficile de résister. Il est impossible d’affronter tout ce cirque à armes égales.

Redford est l’acteur parfait pour le film, sans doute a-t-il entendu toute sa carrière qu’il était bel homme, avec la vague sensation d’imposture qui accompagne ce type de compliment. McKay est effectivement un candidat très séduisant, passant bien à la TV et les électrices en sont charmées. Le constat du film est cruel : le contenant importe plus que le contenu. McKay n’étant pas un imbécile, Redford fait passer sur son visage les nuances du doute et du désabusement. Par moments, il en rit ou s’en moque parce qu’il n’y a plus que ça à faire. Alors qu’il avale de nombreuses couleuvres, sa campagne se transforme et il a de grandes chances de gagner. On assiste donc à la victoire du vide contre les idées, déjà, en 1972… Marvin Lucas le savait, Bill McKay le découvre malgré lui : la politique est un spectacle, les politiciens les acteurs et les électeurs les spectateurs passifs. De ce spectacle rythmé et irrationnel Ritchie a tiré un film original, lucide et sarcastique.

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